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Au café littéraire du salon Lire En Poche, Florence et Babeth se sont lancées dans une conversation presque philosophique sur les nouveaux horizons qu’ouvrait la lecture. Nous tenions à partager cette belle rencontre avec Pef et Jean-Paul Didierlaurent où émotion et humour se sont mêlés.
De Pef, nous connaissons tous les histoires du Prince de Motordu. Avant d’être un auteur jeunesse à succès, Pef est un écrivain et un dessinateur militant. Il s’est fait remarquer par les éditeurs de livres jeunesse, quand, en 1975, il collabore avec Anne Sylvestre.
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Pef s’intéresse à l’enfance et le militant qu’il est mène une bataille contre l’illettrisme dans des actions parallèles à l’enseignement. Son dernier ouvrage Petit éloge de la lecture est un essai pour adultes sur son amour pour la lecture. C’est une invitation à la rêverie, à l’observation, à l’imagination.
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Le livre de Jean-Paul Didierlaurent, Le Liseur du 6h27, s’est vendu à plus de 60 000 exemplaires. Le personnage principal, Guylain, pilonne des livres invendus. Lorsqu’il arrive à sauver quelques pages non broyées, c’est pour les lire à des inconnus dans le RER en allant travailler. Ce roman foisonne de personnages attachants : Giuseppe qui recherche tous les livres faits à partir de la pâte à papier fabriquée le jour de son terrible accident dans l’usine, Yvon qui parle en alexandrin et Julie la dame pipi. Un livre drôle et onirique.
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Quel lecteur êtes-vous ?
Pef Mes livres me suivent comme mon ombre. Mes préférés sont dans mes toilettes. Comme Montaigne, j’ai un cabinet de lecture. Quand je suis sur le trône, je les vois ! C’est un peu comme ça que la littérature est venue à moi.
Jean-Paul Didierlaurent Je suis devenu tardivement un grand lecteur. J’ai découvert le plaisir de la lecture avec Stephen King. Et à partir de là, j’ai commencé à dévorer des livres.
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Pef, dans Petit éloge de la lecture vous écrivez « Dire un livre c’est encore plus beau que lire ». Quels sont vos meilleurs souvenirs de lecture à voix haute ?
Pef Mon père était metteur en scène de théâtre, et j’ai été nourri de lecture théâtrale. Très jeune j’ai entendu dire des textes. Je ne comprenais rien à ces drames affreux de Racine, Corneille, mais la musique de l’alexandrin, cette respiration : c’est la machine humaine qui se présente là. Après j’ai découvert Prévert. Les lectures que je préfère sont celles qui sont monocordes, qui se lisent à la voix et à l’œil.
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Jean-Paul Didierlaurent, l’un des personnages du Liseur du 6h27, Yvon, s’identifie aux héros des tragédies qu’il affectionne. Pourquoi cette identification à un personnage ?
J.-P. Didierlaurent Je trouvais intéressant cette obsession et cet amour fou pour l’alexandrin et en même temps j’imaginais quelqu’un qui ne parle qu’en alexandrin, et l’effet que cela donne sur les autres. J’aimais cette idée de rythme loin de nous alors que chez Yvon c’est permanent.
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Le Liseur du 6h27, est une histoire de lecture à voix haute. Qu’est-ce que ça peut apporter de lire à voix haute devant des inconnus ?
J.-P. Didierlaurent Le personnage principal, Guylain, ne lit pas avec l’intention de partager quelque chose. Il le fait égoïstement dans le seul but de s’amender du crime qu’il fait tous les jours de broyer des livres, c’est de lire à haute voix les feuilles sauvées. Mais en imposant ses textes cela devient malgré lui quelque chose de communautaire avec les usagers de la rame qui prennent plaisir à ces lectures. C’est aussi le seul moment où il devient le liseur et où le personnage existe réellement. Il prend chair devant les autres. Le reste du temps c’est un anonyme. Quand on demande à Guylain de venir faire une lecture dans la maison de retraite, là ça devient une offrande. C’est un don de sa personne qu’il fait et en même temps c’est une façon de grimper dans l’échelle de l’existence. Une lecture c’est toujours une adaptation, selon le lecteur cela peut être totalement différent.
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Qu’est–ce qui vous a inspiré cette histoire de lecteur dans le RER ? C’est une expérience que vous avez vécu ?
J.-P. Didierlaurent Non je n’ai jamais testé ces lectures, en revanche grâce à Folio et à la SNCF il y a une mise en place d’une animation où des extraits du Liseur de 6h27 seront déposés dans les trains et il y aura des lectures à haute voix dans le RER (cela sera rapporté sur les réseaux sociaux).
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Dans Petit éloge de la lecture, Pef, vous écrivez que l’on peut lire un paysage, le ciel. Est-ce que tout est lecture ?
Pef Lire un poteau indicateur c’est déjà de la lecture. On peut lire une ville. Prenez par exemple un billet de train et retournez-le, vous verrez le règlement, qui a un succès énorme, il est tiré à des milliers d’exemplaires et il est en supplément gratuit du billet : une lecture offerte ! Un jour je me suis amusé à barrer des lettres sur ce règlement, pour que les mots puissent changer et j’ai réussi à écrire une histoire. J’étais à la fois dans l’écriture d’un nouveau texte et la lecture.
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Il y a la lecture et la relecture. Vous, Pef, vous relisez souvent Voyage à dos de baleines. Pour quelle raison ?
Pef C’est un souvenir de vacances, quand j’arrivais chez ma grand-mère en Bourgogne. Je savais qu’en ouvrant le petit verrou de la grande porte d’un placard où ma grand-mère entreposait ses robes de veuve de guerre où ça sentait la naphtaline, je le trouverais. Sous ces robes il y avait un livre rouge qui s’appelait Voyage à dos de baleine. Pour le gamin que j’étais c’était fabuleux d’aller à la poursuite sous-marine des orques, des cachalots… c’était Star Wars ! Bien plus tard j’ai retrouvé ce livre, et c’est fabuleux, pour dire comment ça marque, et comment ça marche, c’est qu’avant même de tourner les pages, je savais à l’avance quelle illustration allait suivre.
J.-P. Didierlaurent Il y a un livre que j’ai lu 5 ou 6 fois, chose qui m’arrive rarement, mais là c’est un livre que j’ai toujours plaisir à reprendre et je m’en délecte toujours avec le même bonheur : c’est L’étourdissement de Joël Egloff. C’est d’une noirceur terrible, mais d’un humour aussi qui a chaque fois me fait sourire alors que je connais l’histoire par cœur. C’est la magie des livres, un coup de foudre qui continue à fonctionner. J’ai le souvenir aussi très jeune d’une bande dessinée de la série Sylvain et Sylvette, je devais avoir la varicelle et j’ai gardé un très bon souvenir de cette maladie grâce à ce livre.
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La lecture est-elle une aventure intérieure ?
Pef C’est un compagnonnage. Pour moi le livre équivalent à ce que vient de dire Jean-Paul, c’est Trois hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome. C’est hilarant. Et quand j’ai écrit Petit éloge de la lecture, je l’ai cherché et je ne le trouvais pas. J’ai soupçonné Stephen King de l’avoir fait disparaître parce que c’est un livre trop optimiste sur la vie. Ce que je voulais montrer dans Petitéloge de la lecture c’est qu’il n’y a pas de lecture sans écriture, et il n’y a pas d’écriture sans la vie. Tout le livre est la croisée de la passion de l’écriture et aussi de tout ce qui peut arriver dans un livre. Je n’ai pas voulu faire un essai. Je suis très malheureux si je n’écris pas. Je suis catastrophé à l’idée qu’il m’arrive quelque chose qui m’empêche d’écrire. Écrire c’est être ravi de franchir le miroir et d’être libre du destin des mots. J’écris mot après mot, il faut que ce soit convivial et je suis ravi en leur compagnie. Ma femme en est jalouse ! Vous savez « dans chaque génie il y a une femme qui pleure ».
J.-P. Didierlaurent On parle de matériaux qui sont les mots, qui sont donnés à tout le monde et avec ces matériaux on va construire quelque chose qui vient d’on ne sait où. C’est un art qui permet l’évasion.
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Est-ce un but pour vous, lorsque vous écrivez, d’amener le lecteur à s’évader ?
J.-P. Didierlaurent J’essaie de ne pas penser au lecteur quand j’écris, surtout pas, sinon ce n’est pas bon du tout. Moi je n’ai qu’une envie quand j’écris, c’est raconter une histoire, devenir Dieu tout puissant le temps que j’écris. On a le droit de vie et mort sur ses personnages. On peut jouer avec eux mais eux aussi jouent avec nous.
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Pef, y-a-t-il une différence entre écrire pour la jeunesse et écrire pour les plus grands ?
Pef J’aime écrire pour les enfants. Si je n’avais pas été dessinateur je pense que je n’aurais pas écrit. Ce qui m’intéressait c’était d’écrire le Prince de Motordu qui fait du râteau à voile. N’avoir aucune contrainte. Le Prince de Motordu est un poète, qui fait preuve d’un côté libertaire, où tout est possible. Il faut nourrir les enfants avec des histoires. Et il faut garder son esprit d’enfant.
Babeth et Florence, 29/10/2015
Merci pour ce « reportage souvenir »; une belle rencontre ! un bon moment !
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Merci Chantal 🙂
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