Les dents de lait, de Hélène Bukovski.

C’est un bien étrange récit que nous livre la jeune autrice allemande, Hélène Bukovski, dans son premier roman intitulé Les dents de lait et publié début 2021 chez Gallmeister. Le récit est relativement bref, le nombre des protagonistes limité et essentiellement féminin.
L’intrigue repose sur une grande simplicité et se déroule sur fond de dérèglement climatique. Une atmosphère envoûtante, une histoire prenante, imprégnée de poésie, une sorte de conte où cohabitent magie et réalisme : dans cette histoire, il tombe des mouettes mortes du ciel, les arbres fleurissent, mais ne donnent plus de fruits, les chats disparaissent…
Le récit peut s’inscrire dans la lignée des romans post-apocalyptiques – on pense par exemple à Dans la forêt de Jean Hegland (Gallmeister) ou encore Le mur Invisible de Marlen Haushofer (Actes-sud) ; mais la catastrophe passée ou à venir demeure floue, sans contours précis, les questions restent sans réponse. Une menace plane sur la région et cette menace pousse les habitants du coin à faire sauter le pont qui mène au monde extérieur.

«Et puis, il y a eu les animaux. Des oiseaux, parfois des cerfs et des sangliers. Ils étaient malades, ils s’égaraient et se retrouvaient ici. On savait qu’ils venaient de la mer, alors on a décidé de faire sauter le pont en béton. De couper le seul accès et de nous protéger définitivement de ce qui risquait d’arriver.»

Depuis, le climat s’est brusquement déréglé : après la brume et le froid , un soleil implacable, une chaleur insupportable se sont installés, faisant blanchir le pelage des animaux et fuir les oiseaux. La terre desséchée produit à grand peine les fruits dont, jadis, les hommes tiraient abondamment leur subsistance.

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Un père étranger d’Eduardo Berti

Le dernier roman d’Eduardo Berti, Un père étranger, vient de paraître aux éditions de la Contre Allée. C’est un récit aux multiples résonnances sur la filiation, l’identité, l’exil, la langue et la fabrique du roman.

Nous avons eu la chance de rencontrer Eduardo Berti dans le cadre de l’inédite édition de l’Escale du livre 2021 dont vous pourrez écouter l’interview ici.

Un père étranger est composé de trois récits aux résonnances fortes. Un narrateur se lance dans l’écriture d’un livre sur l’écrivain Josef Conrad et pour cela part dans le Kent, en Angleterre, visiter la maison où celui-ci a résidé. Le second récit est centré sur un lecteur de Conrad, un allemand du nom de Meen, qui croît se reconnaître dans un des personnages d’une nouvelle écrite par Conrad et s’estime humilié par la description que l’auteur en a fait. S’en suit une tentative de tuer l’auteur… Le troisième récit raconte le père d’Eduardo Berti, émigré roumain en Argentine, qui se lance dans l’écriture d’un roman après que son fils ait publié son premier roman, Le désordre éclectique.

Un roman à deux niveaux. Eduardo Berti raconte le roman et la fabrique du roman. « J’ai voulu raconter le making-of du roman. Mon idée était d’alterner le roman et le making-of, mais très vite, les histoires se sont mélangées ». En effet, les trois récits s’imbriquent, s’entremêlent inéluctablement : les ressemblances entre la vie de Josef Conrad et celle du narrateur se reflètent comme dans un miroir et Eduardo Berti, par ailleurs membre de l’Oulipo, n’hésite pas à en jouer à travers la forme de la narration. Il fait dresser au narrateur de son roman des listes d’éléments à intégrer dans le livre qu’il écrit sur Josef Conrad, et expose les quatre dénouements envisagés.

« J’ai essayé de trouver le plus de liberté possible à partir de la forme. Il y a le journal – le carnet de notes – et la possibilité de travailler à partir de plusieurs hypothèses. » On est autant dans le roman que dans le laboratoire du roman.

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Le cas Eduard Einstein

Tout le monde connaît Albert Einstein. Mais beaucoup ignorent que dans l’ombre du génie vivaient sa femme et leurs deux fils, dont le cadet, Eduard, souffrant de schizophrénie.

« Avoir pour père le génie du siècle ne m’a jamais servi à rien. »

Interné à l’âge de vingt ans dans une institution psychiatrique à Zurich, Eduard n’apparaît presque jamais dans les biographies consacrés au physicien. Albert se confie peu sur sa famille, et encore moins sur son fils cadet, sa douleur et sa faille. Lui qui a défié les lois de l’univers et révolutionné notre conception de l’espace et du temps disait d’Eduard :

« Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution. »

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Marx et la poupée

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Marx et la poupée est un roman autobiographique. C’est aussi le premier roman de Maryam Madjidi, une jeune auteure iranienne arrivée en France avec sa mère à l’âge de 6 ans pour retrouver son père en exil politique à Paris.

Marx et la poupée, donc. Une association pour le moins incongrue. Pourquoi Marx ? C’est au nom du communisme que les parents militants de Maryam ont combattu les différents régimes : celui du shah et celui des ayatollahs. Quant à la poupée, elle symbolise la perte des repères affectifs qui balaya la vie de la petite fille lorsque sa famille fut réduite à l’exil. Avant de quitter l’Iran, elle dut se séparer de tous ses jouets, distribués aux enfants du quartier. La famille a pu échapper à ses adversaires mais les ouvrages politiques des parents et la poupée de l’enfant conservent une vie souterraine : enterrés quelque part dans le jardin de Téhéran, ils hantent la mémoire de chacun.Lire la suite »