Taormine, de Yves Ravey

Les éditions de Minuit sont une maison d’auteurs de haute tenue depuis sa création qui agrège toute une fraternité d’auteurs, parmi les plus contemporains : Jean Echenoz, Jean-Philippe Toussaint, Tanguy Viel, Laurent Mauvignier et bien sûr Yves Ravey. Elle nous propose en cette rentrée 2022 la lecture de Taormine, nom d’une ville touristique sur la côte est de la Sicile.

L’histoire est simple, aussi simple que l’univers mental qu’elle met en place est complexe. Melvil et Luisa sont mariés et en crise. Ils décident, pour aider à la reconstruction de leur couple de passer des vacances en Sicile. Dès la deuxième page, le récit à peine entamé prend une tangente.

Oui, ai-je ajouté, on peut appeler cela de la déception. C’était comme si nous avions manqué quelque chose, comme si, prenant cette bifurcation sur l’autoroute, nous n’avions pas, façon de parler, excuse-moi, Luisa, frappé à la bonne porte.

L’instrument de cette navigation touristique est naturellement la voiture louée à l’aéroport pour la durée du séjour. La voiture, lieu clos, lieu de l’intimité et en même temps lieu empêché de l’échange où les regards ne peuvent se croiser est aussi celui du danger et c’est en effet par elle que l’histoire va naître.

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Un voisin trop discret, de Iain Levison

Quelle chance nous avons eu de découvrir Iain Levison au festival Lire en poche de Gradignan. Après avoir tant ri en lisant Un petit boulot, c’est avec joie que je me suis rendue au grand entretien animé par Christine Ferniot où l’auteur nous parlait de « l’Amérique et ses travers ». C’est à partir des personnages de son roman Un voisin trop discret que Iain Levison a, avec toute sa modestie, abordé ce sujet. Jim vit seul dans un appartement de Philadelphie et part travailler comme chauffeur Uber de façon mécanique avant de s’enfermer chez lui. Les relations sociales, ce n’est pas du tout son truc. Pourtant, les choses vont changer lorsque Corina va s’installer dans l’appartement voisin. Souvent en galère, elle élève, la plupart du temps, son fils de 4 ans seule. Il faut dire que son mari, Grolsch, est snipper en Afghanistan.

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Vieille fille, une proposition.

N’aurait-on pas trop misé sur le désir, le couple, la famille ? Voilà le questionnement auquel nous invite Marie Kock en mêlant essai et récit car elle part bien de sa vie de « vieille fille » à elle, vie de vieille fille pourtant dépourvue de chats, de pelotes de laine et surtout d’âcreté.   

Que signifie « trop miser » ? Trop miser au sens où tout est une question de proportion ou plutôt de disproportion. Et en l’espèce, il est bon de voir qu’il y a tout de même un sacré écart entre conférer une valeur très forte au couple, aux enfants (valeur que nul ne nie) et faire de cette valeur l’équivalent d’une condition de possibilité d’une existence « heureuse ». Dit autrement, la condition « couple/famille » doit être remplie pour que l’on puisse s’octroyer le droit de qualifier sa vie de réussie. Or…

On peut avoir une vie réussie ou ratée indépendamment du fait d’être en couple et avec des enfants. On a donné une place démesurée à ces éléments dans l’accomplissement d’une vie. 

Entend-on si souvent cela ? Tout comme le mouvement me too a révélé des comportements et des présupposés tus pourtant évidents et sus de tous, Marie Kock vient elle aussi à sa manière dynamiter un sacré « petit » tabou. Elle nous raconte comment elle s’est ainsi rendu compte qu’elle avait eu beaucoup de périodes de sa vie durant lesquelles elle avait été « bien » et somme toute –osons le mot- « heureuse » sans pour autant les considérer réellement comme telles. Pourquoi ? Parce que ces périodes ne valaient tout simplement pas de points au « game ». Comment se sentir heureux quand on (soi, la société, les autres) a intériorisé que le vrai bonheur ne démarre qu’en couple d’abord, et avec des enfants ensuite ?

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Une nuit après nous, de Delphine Arbo Pariente

Mona a épousé Paul d’un second mariage, ils ont eu Rosalie, et puis Mona a rencontré Vincent. Je vous arrête tout de suite, ce n’est pas un roman sur l’infidélité. Oui, Vincent occupe toutes ses pensées. Elle a beau lutter, rien n’y fait. Elle ne comprend pas pourquoi. Ils parlent, beaucoup et Vincent se raconte. En l’écoutant parler de son passé, Mona plonge dans ses propres souvenirs et les failles de son existence.

Vincent devient son confident. Il est curieux d elle. Il veut connaître le plus intime de ses visages.

Cette rencontre sera un déclic. Mona va écrire avec frénésie son histoire familiale. C’est le début de la collision avec elle-même.

J’ai cru que j’aimais Vincent pour oublier, mais je l’aimais pour me souvenir.

Commence alors le cœur du roman.

L’histoire d’une famille de juifs séfarades qui doivent fuir du jour au lendemain la Tunisie en laissant tout derrière eux. Nous sommes dans les années 60 en France, ce pays où ils viennent d’arriver épuisés. La mère de Mona est une des filles de cette famille. Elle a grandi à Tunis dans un quartier huppé. Ils étaient heureux jusqu’à ce que la peur les fasse partir comme des voleurs. La fillette grandit en France dans la privation avant que les choses s’arrangent un peu. A 18 ans, on la marie avec un émigré comme eux. La vie est dure pour ce jeune couple. Pour survivre, ils volent de la nourriture en supermarché. Puis enceinte, la mère porte des vêtements larges pouvant cacher des camemberts et des vêtements pour le bébé à venir. Mais elle n’en peut plus de suivre son époux qui en veut toujours plus.

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