La fille parfaite, de Nathalie Azoulai

Qui est cette fille parfaite dont il est question dans le titre du dernier roman de Nathalie Azoulai, La fille parfaite publié chez POL ?
Si on doit choisir entre les deux héroïnes du roman, on pense tout de suite à Adèle, jeune fille curieuse de tout, surdouée et brillante que son père a formée et dirigée de manière inexorable vers des études de mathématiques. Adèle connaît une carrière remarquable, de rang international, couronnée de nombreuses récompenses. Elle s’est mariée jeune, a un fils de dix ans qu’elle aime avec passion.
Alors pourquoi, dès les premières pages du livre, se suicide-t-elle par pendaison à quarante six ans, au faîte de sa gloire ?
C’est ce que va chercher à comprendre l’autre héroïne du récit, Rachel, l’amie d’Adèle depuis le collège, toute aussi brillante et volontaire, mais dans un autre domaine : la littérature. Elle est aujourd’hui, agrégée de lettres et écrivaine reconnue. Cependant, à la mort d’Adèle, Rachel, assommée par ce drame, se sent en même temps bizarrement délestée. J’étais triste, mais j’étais débarrassée pense-t-elle , se remémorant l’enterrement de l’amie de toute une vie. Le livre est conçu comme une enquête, menée par Rachel, dans un va-et-vient constant entre présent et passé. Elle va revivre les différents épisodes de leur amitié, fouiller ses zones d’ombre.

Les amitiés, c’est comme les crashs aériens, on n’en retrouve pas toujours les boîtes noires, sauf peut-être quand elles s’ouvrent d’elles-mêmes au chevet de l’un des deux amis quand il meurt, mais dans notre cas, de chevet, il n’y en a pas eu. Sa recherche de la vérité sera à la fois une quête de souvenirs mâtinée d’introspection.

Le roman est l’histoire de cette longue et tumultueuse amitié faite d’admiration, de complicité, de petites bouderies, sous-tendue par l’émulation et la compétition.

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Le lambeau

Philippe Lançon est journaliste. Le 7 janvier 2015, il est grièvement blessé lors de l’attentat contre « Charlie Hebdo ». Sa mâchoire et sa bouche sont détruites. A leur place, un lambeau, un morceau de sa propre chair, est greffé.

En parallèle de cette reconstruction physique, lente et douloureuse, Philippe Lançon construit une autre vie, celle de l’après, avec ce qui reste d’essentiel : la bienveillance. Les soignants, comme on les appelle maintenant, prennent toute leur nécessaire importance, à l’image de Chloé, la chirurgienne, car c’est de sa créativité, de son expérience et de son savoir-faire que dépend la future apparence humaine du journaliste.

Puis, sa famille, son frère, sa belle-sœur, ses parents, les amis, les femmes de sa vie, la précédente, l’actuelle, créent un cocon protecteur où il n’est pas forcément facile de rester car la réalité est dure à regarder en face : une gueule cassée, comme se nomme lui-même l’auteur. D’ailleurs, il bénéficie des avancées médicales qu’on prodigue aux victimes de guerre. Lui vivait dans un pays en paix.

A travers ce récit intime et lumineux, nous, lecteurs, accompagnons le mutilé dans sa lente réparation physique et psychologique, balisée de repères culturels : Bach, Kafka, Proust, dont la lecture de la mort de la grand-mère devient un rituel précédant les opérations chirurgicales. Ils sont les compagnons intérieurs sur lesquels l’auteur s’appuie pour composer un être de l’après.

J’ai profondément aimé ce roman car il est sans complaisance mais d’une grande humanité, dans sa recherche d’une dignité souvent difficile pour une gueule cassée. Sa restitution de l’évènement, de son impact dans sa vie et de leur compréhension sont d’un naturel qui m’a bouleversée. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un texte de cette intensité.

Bérengère, 13 décembre 2020

L’annexe

Anna est une espionne, toujours en mission aux quatre coins du monde et ne se sent jamais chez elle, à part dans le logement exigu où Anne Frank et sa famille s’étaient réfugiées, à Amsterdam, appelé l’Annexe. Anna y retourne souvent.

Ce jour-là, suivie, elle est exfiltrée par l’organisation pour laquelle elle travaille et installée dans une maison dont elle ne sait pas l’emplacement géographique, même si elle croit reconnaître Montréal. Anna y est accueillie par Celestino, gardien du lieu, fantasque et amoureux de la littérature comme elle. Elle rencontre sept autres agents, gardant l’incognito et le silence sur les raisons de leur présence.

Lectrice passionnée, Anna associe chaque situation de la vie à une scène lue dans un roman et identifie chacun de ses partenaires à un personnage de littérature, comme un vieux couple d’origine slave qu’elle nomme « les Tourgueniev ». En parallèle, Anna entretient une dangereuse relation littéraire avec Celestino, exploitant ces héros qui ont marqué son imaginaire pour mieux comprendre son nouvel environnement. Petit à petit, la vie reprend, des habitudes s’installent entre lecture, sport et dîners mondains : une prison dorée, le temps de se faire oublier. Doucement, le huis clos devient pesant, les méfiances s’aiguisent et la mort s’invite. 

J’ai été très curieuse de savoir à quoi la vie d’espionne ressemblait. Cette idée très originale m’a permis de me glisser à la place de l’héroïne et de vivre par procuration une exfiltration. De plus, le jeu que mène la narratrice et Celestino à travers la littérature est très habile car il leur permet à la fois de cacher leurs personnalités mais aussi de tenter de percevoir les intentions de l’autre. C’est une sorte d’interrogatoire subtil et érudit que chacun ferait subir à l’autre. Il faut une grande culture littéraire. Heureusement, Catherine Mavrikakis puise beaucoup dans la littérature française et pour les autres références, je dois bien avouer que je les ai notées pour les lire plus tard ! Bien sûr, cela reste entre nous…

Bérengère, 23 septembre 2020

Miss Islande

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Un vent de liberté souffle dans les romans d’Auður Ava Ólafsdóttir. 

Dans Rosa candida, Arnljotur quittait l’Islande pour consacrer sa vie à l’horticulture. Dans Miss Islande, la jeune Hekla abandonne sa campagne natale pour s’établir à Reykjavik afin d’accomplir son rêve, devenir écrivain.

Elle emporte Ulysse de James Joyce en langue originale, ses manuscrits et sa machine à écrire, et se laisse porter par la volonté farouche d’accomplir sa destinée.

Va-t-elle y parvenir ?

Situer son histoire dans les années 60 permet à l’auteur de s’interroger sur la place de la femme dans la société islandaise de l’époque. Mais rassurez-vous, comme à chaque fois qu’un sujet lui tient à coeur, Auður Ava Ólafsdóttir l’aborde avec délicatesse, l’air de rien, avec humour, légèreté et poésie.

Ce roman est ouvertement féministe et nous offre un magnifique portrait de femme éprise de liberté, ainsi qu’un vibrant hommage à l’écriture et aux livres. Un roman à lire et à offrir.

Marisa, 5 septembre 2019

Ce roman fait écho aux propos que nous avions échangés avec Auður Ava Ólafsdóttir à Lire en Poche, en 2014. Nous avions alors évoqué les femmes et la littérature… (ici)