Trust, d’Hernan Diaz

Un aparté pour commencer : j’ai lu Trust (prix Pulitzer 2023) sur liseuse, tant et si bien que je n’en ai pas vraiment perçu la structuration et les différentes formes des parties avant de le commencer. J’ai ainsi débuté ma lecture sans préconception ni vision d’ensemble et je dois dire que compte tenu de la nature de ce roman, cela a sans doute contribué à accroître ma surprise et mon plaisir de lecture. A contrario du livre papier que l’on commence par soupeser, feuilleter, s’approprier pour savoir si l’on est susceptible d’aller au bout ou non, sur liseuse, on se jette finalement sans trop savoir où l’on met les pieds et je me rends compte que cela rend beaucoup moins réticent, frileux… !

Je me jette donc, le décor : années 30, milieu de la finance, nous sommes à New-York avant/après le célèbre crash de 1929 et on nous narre de manière particulièrement indirecte la vie d’un fils d’industriel qui deviendra un magnat de la Bourse. Je dis de manière très indirecte car en effet, le style très distant sans aucun dialogue relaté surprend de prime d’abord. Cet homme, peu disert, très en retrait, épouse une femme qui à certains égards cultive la même distance avec la vie et leur vie commune ou plutôt parallèle, qui ne restera pas lisse jusqu’au bout, nous est exposée.

Puis, à la centième page environ, le décor reste le même mais le style est tout autre. Les personnages se ressemblent pourtant aussi mais l’on s’attaque à des mémoires non encore achevées. Disons toute de suite que ce roman comporte en tout et pour tout quatre parties distinctes et que la troisième met en piste un narrateur encore différent. Quant à la quatrième, je ne vous en dirai rien.

Dans ces quatre parties, c’est à la même histoire que l’on assiste, ce sont peu ou prou les mêmes personnages qui sont en présence mais au-delà d’une « simple » variation de points de vue, Hernan Diaz nous montre dans ces quatre séquences autant de styles et de façons de restituer la réalité selon l’intention qui est portée par le narrateur. Cependant, rien ne nous est non plus clairement dit des intentions des narrateurs dont on mesure qu’elles creusent des sillons différents dans un bloc de réalité autour duquel H. Diaz fait tourner le lecteur avec une grande finesse.

L’ambiance des années 30 dans cette époque d’expansion et de croyance dans le pouvoir de l’argent avant que tout ne périclite, la possible implication de ce trader des temps anciens dans ce chaos, le couple mystérieux qu’il forme avec son épouse et qui allie deux solitudes, le personnage-narrateur de la troisième partie qui apporte une touche plus personnelle au récit, tout cela contribue à donner un charme réellement rare au roman, avec en plus nombre de saillies qui permettent d’entrer dans les raisonnements à l’œuvre de ces froids calculateurs de l’ombre. L’ambiance du roman joue en permanence sur les deux registres, la clarté de ce qui est exposé, l’ambiguïté de ce qui l’est et pourquoi. Comme vous vous en doutez, la dernière partie est bien entendu décisive pour approcher de manière beaucoup plus factuelle les récits qui nous sont délivrés dans les trois premières.

Ce qui est excessivement plaisant et osé dans cette narration est aussi le changement de forme à chaque nouvelle partie. H. Diaz n’hésite pas à nous faire entrer dans des notes, annotations dans les parties 2 et 4 du roman en empruntant des styles qui tranchent tant avec la 1re partie d’un formalisme extrême qu’avec le récit de la 3e plus classique. Cela constitue vraiment un pari qui aurait pu lui faire perdre son lecteur mais fonctionne au contraire à merveille, redonnant à chaque fois un souffle à l’histoire traitée d’un autre point de vue.

Et que dire de la qualité des réflexions de ce froid magnat de la finance, ne sont-elles pas empreintes de la plus grande des lucidités ?

France, mai 2024

Trust, Hernan Diaz, Editions de l’olivier, 2023

Toute vie est organisée autour d’un petit nombre d’évènements qui soit nous propulsent soit finissent par nous entraver. Nous passons les années entre ces épisodes à bénéficier ou à souffrir de leurs conséquences jusqu’à l’arrivée du moment déterminant suivant.

La valeur d’un homme est établie par le nombre de ces situations décisives qu’il est capable de se créer pour lui-même. Il n’est pas toujours nécessaire que ce soit un succès, car échouer peut être un grand honneur. Mais il se doit d’être l’acteur principal dans les scènes significatives de son existence, qu’elles soient épiques ou tragiques.

Cache-cache bâton d’Emmanuel Lepage

Les conséquences du réchauffement climatique nous poussent à remettre en cause nos façons d’être au monde. Interroger nos déplacements, notre consommation de viande ou encore notre vie en maisons individuelles. Le roman graphique Cache-cache bâton du dessinateur Emmanuel Lepage, paru en 2022 aux Editions Futuropolis, apporte des éléments de réflexion à ce dernier questionnement en nous invitant à découvrir une expérience pionnière d’habitat partagé que lui et ses parents ont vécu dans les années soixante en Bretagne.

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Katie, de Michael McDowell

Tellement heureuse de retrouver l’univers sombre et macabre de Michael McDowell.  Mon rituel avant de débuter la lecture, prendre le temps d’observer la beauté de la couverture et y interpréter les indices dessinés par l’illustrateur Pedro Oyarbide. L’objet est sublime, tout comme les autres, avec ses dorures et ce rouge flamboyant.

Katie, le dernier opus de la collection des Editions Monsieur Toussaint Louverture est une pépite. Michael McDowell nous embarque à nouveau dans les thèmes qui lui sont chers : les femmes puissantes, la vengeance, l’argent, le spirituel. Le tout saupoudré d’une ambiance sépulcrale fin 19e siècle newyorkaise. Dans ce volume, deux femmes unies par le destin offrent au lecteur un duel ardent et sans pitié. Chacune d’elle incarne la puissance, le courage et une volonté sans limites.

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