Entretien avec Katarina Mazetti

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© DR

Katarina Mazetti nous a accordé une interview, en duo avec sa traductrice Lena Grumbach, lors du festival Lire en Poche 2014, à Gradignan. L’occasion de mieux la connaître, d’évoquer son combat féministe, ses goûts littéraires et de partager sa bonne humeur communicative. Ancienne journaliste pour une radio suédoise, elle est aujourd’hui auteure de livres pour la jeunesse et de romans pour adulte. Elle a connu un grand succès avec Le mec de la tombe d’à côté. Son dernier roman Le Viking qui voulait épouser la fille de soie est publié aux éditions Gaïa.

Audur Ava Olafsdottir disait récemment que les femmes écrivains étaient peu présentes sur les salons du livre ou dans les magazines littéraires. Pensez-vous qu’elles ont du mal à s’affirmer par rapport aux hommes écrivains ?

Il y a peut-être trop d’animateurs masculins. Une année, dans un salon du livre en Suède, il semble qu’un animateur ait parlé sur scène pendant trente minutes et puis, finalement, s’est décidé à poser une question à l’écrivaine Sofi Oksanen qui était à côté de lui et qu’il était sensé interviewer. Et il lui demande : « Qu’est-ce que ça fait d’être une femme et un auteur ? » ; elle n’a rien dit et elle est partie. Moi je pense qu’elle aurait dû rester et lui poser la question à l’envers : « Et c’est comment d’être animateur et homme ? ». C’est assez étrange car les lecteurs sont en général des lectrices. J’ai ce sentiment que j’avais quand je travaillais à la radio : on met des lunettes et on voit les choses différemment, surtout du point de vue de l’égalité des sexes. Souvent on s’en sort avec de l’humour. Comme Claire Bretecher qui est géniale pour pointer ces choses-là. Je crois plus à l’humour et à la douceur de l’humour qu’à la lutte pure et dure. C’est vrai qu’il y a certaines choses pour lesquelles il faut lutter. Mais l’humour est très utile pour ouvrir les yeux des gens. Comme l’autre jour, j’ai lu une phrase : « Tiens, voilà Dieu qui arrive… Et elle est en colère ».

Vous êtes engagée dans le combat féministe. Est-ce que c’est un engagement normal pour vous ou avez-vous été confrontée à des événements qui vous ont fait prendre conscience qu’il fallait lutter ?

Il faut savoir que le terme « féministe » est souvent très mal utilisé. Certains pensent qu’on a des crocs et qu’on mange les petits enfants. En fait votre question devrait plutôt être : « Pourquoi n’est-on pas féministe ? Qu’avez-vous contre le fait que les hommes et les femmes aient les mêmes droits et les mêmes devoirs ». L’égalité totale devrait être normale.

Quel regard portez-vous sur la femme française ?

Je ne sais pas vraiment comment vous répondre. Je n’ai jamais eu l’impression que le féminisme ait été très fort en France. Mais peu de livres français sont traduits en suédois alors je ne suis peut-être pas bien informée. Qu’en pensez-vous ? J’ai entendu dire que le féminisme était un peu théorique en France. Il faut lutter parfois pour obtenir ce que l’on veut. J’ai entendu dire qu’une personne haut placé à Bruxelles ne voulait pas interdire les mauvais traitements infligés aux femmes. Il faut plus de féministes !

Quelles écrivaines françaises aimez-vous ?

Christiane Rochefort avec Le repos du guerrier. Et Claire Bretecher. J’aime beaucoup les écrivains classiques car mêmes si ce sont des hommes, certains sont féministes. Flaubert est féministe : « Madame Bovary, c’est moi » ! Est-ce que vous pouvez m’indiquer des auteures françaises ?

Véronique Ovaldé, Jeanne Benameur, Lola Lafon,…

Je vais voir si je trouve des traductions car mon français n’est pas assez bon. Les livres sont souvent traduits en suédois depuis l’anglais…

La littérature suédoise semble plus facilement traduite en français que la littérature française en suédois…

Oh, oui. Vous savez, il n’y a que neuf millions d’habitants en Suède et une traduction, ça coûte cher…

Comment expliquez-vous le succès de vos romans en France ?

C’est une des grandes énigmes de ma vie ! Il y a quelque chose qui colle, manifestement. Les Français aiment mes livres et moi j’aime la France. Le courant passe et j’en suis très heureuse. C’est un pays fantastique pour un auteur.

Pensez-vous que votre humour y soit pour quelque chose ? Car vous n’êtes pas austère…

Les Suédois ne sont pas austères. Nous avons beaucoup d’auteurs, notamment de bande dessinée qui sont très drôles, un peu borderline mêmes et féministes aussi ! Je vais peut-être essayer d’en faire connaître ! Je pense que vous les aimeriez.

© Liseuses de Bordeaux
© Liseuses de Bordeaux

Comment travaillez-vous avec Lena Grumbach, qui a traduit presque tous vos livres en français ?

Lena Grumbach : Je travaille d’abord seule chez moi. Je traduis le texte en entier. Et je repère des mots que je ne comprends pas bien, des choses qui me semblent bizarres. J’en fais une liste que j’envoie à Katarina. Et nous échangeons.

Comment vous êtes-vous connues ?

Lena : J’ai traduit Le mec de la tombe d’à côté. Nous nous sommes rencontrées plus tard, lors de la publication du livre pour en faire la promotion lors d’un salon. Et on s’est trouvées !

Est-ce facile de travailler sur un texte, qui est quelque chose de très personnel, quand on se connaît aussi bien ?

Lena : Oui. Il y a forcément quelques petites trahisons lors de la traduction, mais nous passons outre.

Katarina : Pour Le viking qui a épousé la fille de soie, j’ai fait relire mon texte par un historien. Puis il a été relu chez l’éditeur, plusieurs fois. Mais quand Lena l’a traduit, elle a découvert des erreurs. J’ai été époustouflée. Lena est une sécurité pour moi.

Lena : Moi, je pense qu’un jour quelqu’un lira ma traduction et dira : «Mais non, ce mot n’est pas juste …». Il y a toujours des fautes…

Qu’est-ce qui fait une belle traduction ?

Lena : C’est une traduction où le lecteur français ressent la même chose que le lecteur suédois. Même si le texte français n’est pas mot à mot comme le suédois, mais qu’il évoque les mêmes sentiments.

Est-ce qu’il faut bien connaître l’auteur pour bien le traduire ?

Lena : C’est un plus. Mais ce n’est pas obligatoire. L’important c’est de sentir le texte et de le comprendre.

Propos recueillis par Florence et Marisa
10/10/2014

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