Lauréate du prix du premier roman au festival de Chambéry pour La petite barbare, livre dont nous avons déjà parlé ici, Astrid Manfredi a accepté de revenir pour nous sur son écriture. Une occasion d’en savoir plus sur la fabrique de ce roman fort, très fort…
Pourquoi avoir choisi un fait divers comme sujet de votre premier roman ?
Astrid Manfredi Ce n’est pas tant le fait divers qui m’a intéressée, d’ailleurs le roman ne déploie pas l’affaire du gang des barbares dans son entièreté – ça ne m’intéressait pas au regard du halo d’horreurs qui entoure cette histoire.
Ce qui m’a intéressée, c’est la jeune femme qui servait d’appât et qui était sous l’emprise du leader du gang. Et plus particulièrement, c’est la liaison de cette jeune femme avec le directeur de la prison qui m’a intéressée et que j’ai découverte dans un entrefilet d’un journal : j’ai trouvé que c’était un matériau romanesque incroyable.
Comment une jeune femme qui a été incarcérée pour des raisons de séduction poussée à l’extrême et pour manipulation se retrouve encore durant son incarcération à reproduire la même chose ? Comment une jeune femme si belle en est arrivée à faire des choses pareilles ? Que s’est-il passé dans son enfance pour qu’elle en arrive là ? C’est tout ça qui m’a intéressée, plus que le fait divers. Et je voulais aussi dresser le bilan de ce qui se passe dans certaines zones d’exclusion.
La jeune fille, qui est le personnage principal du roman, a une langue singulière. Elle utilise à la fois des expressions argotiques et poétiques. Comment avez-vous travaillé le langage de ce personnage ?
Ça vient de mon appétence naturelle pour la poésie, la musique et l’image qui sont des vecteurs d’inspiration pour moi, autant si ce n’est plus, que l’écrit. Il fallait tout ça pour lui donner une identité littéraire. Elle ne pouvait pas s’exprimer comme si elle hantait les salons chics parisiens. Il lui fallait sa langue et il fallait qu’elle soit rugueuse. J’ai voulu que cette langue soit aussi poétique pour que ce roman reste de la littérature et que la petite barbare ne soit pas une caricature. Je ne voulais pas qu’elle s’exprime uniquement avec des expressions argotiques.
Avez-vous rencontré cette jeune fille avant d’écrire ce roman ?
Non. Je n’ai pas cherché à la connaître. Je sais qu’elle est sortie d’incarcération aujourd’hui, mais qu’elle a pour obligation de ne pas communiquer avec les médias.
Votre personnage est donc un personnage de fiction ?
Oui, complètement. Ce n’est qu’un travail d’écrivain, un travail d’imaginaire. J’ai tout imaginé.
Le thème de l’enfermement est très présent dans la petite barbare : la jeune fille est prisonnière de sa vie autant qu’elle l’est dans sa cellule. Le roman a été lu par des détenus dans le cadre du festival du Premier Roman de Chambéry. Quels retours vous en ont-ils fait ?
D’abord, ils ont choisi mon texte, ce qui est un grand honneur pour moi. En fait, ils en ont aussi choisi un autre, Camille mon envolée de Sophie Daul. Mais au final, ils n’en ont retenu que deux sur quatre-vingt, ce qui est un honneur. Ils ont aimé la façon dont j’avais su restituer la sensation d’enfermement et d’incarcération, à tel point qu’ils ont pensé que j’avais travaillé dans une prison. Je pense qu’ils se sont retrouvés dans la colère du personnage, dans sa dualité et sur le point de rupture, aussi, ce moment où l’on commet l’acte et où l’on ne peut plus revenir en arrière. Et puis, il y a aussi dans ce roman le thème de la prison qui est intérieure avant d’être réelle.
Les autres personnages sont vraiment secondaires, on les voit peu…
Esba est important, il est comme un frère pour la petite barbare et elle ne l’a pas renié. Ce que la petite barbare cherche dans Esba c’est un sentiment d’ordre familial. Elle lui garde une affection même si elle ne devrait pas… Le personnage de la mère est important aussi, même si elle n’a pas de relation vraiment développée avec elle ou alors très anxiogène.
Est-ce que vous savez pourquoi le vrai directeur de la prison a succombé à cette jeune fille ?
Il a écrit un texte qui s’appelle Défense d’aimer, que je n’ai pas lu car ce témoignage ne m’intéressait pas. Et je ne voulais pas me polluer la tête avec ça, je préfère inventer ! Je ne voulais pas en faire quelqu’un de trop aimable. Il détenait le pouvoir dans la prison et il a outrepassé largement son rôle et ses droits. Ce n’est pas professionnel. C’est volontairement que je ne lui ai pas laissé beaucoup de place.
Propos recueillis par Florence, 9 juin 2016