Aurélie Tronchet a reçu le prix de littérature traduite du festival Lire En Poche pour sa très belle traduction du roman Esprit d’hiver de Laura Kasischke. On n’a pas pu s’empêcher de lui sauter dessus à peine le prix remis…
Vous venez de recevoir le prix de littérature traduite pour votre traduction du roman Esprit d’hiver de Laura Kasischke. Comment vous sentez-vous ?
Je suis très touchée. C’est à la fois très gratifiant et un peu déstabilisant car je ne suis pas l’auteure même si je fais un travail d’écriture créative. Je suis fière.
Comment avez-vous travaillé ?
Je ne connaissais pas du tout cette auteure, je ne l’avais jamais lue. Dominique Bourgois m’a appelée un jour et m’a demandé si je connaissais Laura Kasischke. Comme ce n’était pas le cas, elle m’a demandé si j’avais des enfants et j’ai répondu que oui. Alors elle m’a dit : « C’est bon, vous traduisez Laura Kasischke ». Elle m’a quand même laissé l’opportunité de lire le manuscrit avant. J’ai été bouleversée par ce roman. La dernière page est terrible. Puis j’ai lu toutes les autres traductions pour saisir la tonalité (il ne faut pas oublier le lectorat). Pendant que je traduisais Esprit d’hiver, Laura travaillait avec son éditrice sur la version américaine. Ce qu’il faut savoir c’est que le livre est sorti traduit en France avant qu’il ne sorte aux États-Unis. J’ai donc travaillé sur un texte qui n’était pas définitif mais toujours en train de bouger, si bien que je me suis parfois retrouvée avec des corrections de l’éditrice américaine avec lesquelles je n’étais pas forcément d’accord …
Vous avez contacté Laura Kasischke ?
J’ai peu communiqué avec l’auteure ; je préfère garder une certaine distance… Ç’aurait été une catastrophe pour moi si je l’avais rencontrée avant. Je suis un peu midinette, un peu idolâtre… Je n’aurais pas eu cette liberté créative qu’on a dans la traduction si je l’avais rencontrée avant. Mais je l’ai rencontrée, oui. Elle est très touchante, très réservée, à fleur de peau.
Laura Kasischke a un style très poétique. Est-ce difficile de la traduire ?
Elle est surtout connue pour sa poésie pour laquelle elle a obtenu de nombreux prix aux États-Unis. Les images poétiques sont difficiles parce qu’elles sont très morbides. Mais je n’ai pas traduit ses poèmes… C’est un autre travail…On n’est pas forcément un traducteur tout terrain !
Dans Esprit d’hiver, il y a une musique. Existait-elle déjà dans le manuscrit en anglais ?
Si elle est présente dans le texte en français, c’est qu’elle existait dans le texte en anglais. Une traduction, c’est une expérience physiologique et organique. En lisant le texte, on en intègre aussi sa musicalité. Et puis, j’ai relu le texte à voix haute, et dans ces moments, le texte prend une autre dimension. Ça joue sur l’écriture. Mais le rythme était déjà dans le texte original.
C’est important de relire à voix haute ?
Oui, quand vous relisez dans votre tête, vous ne percevez pas le souffle du texte. On ne se rend compte du souffle du texte qu’en le lisant à voix haute.
Qu’est-ce qu’une belle traduction ?
Les compétences ne s’expriment pas de manière égale, puisqu’il s’agit d’écriture. Il y a une rencontre entre un texte et une sensibilité personnelle… Il se trouve que depuis quelques années, je travaille uniquement avec Dominique Bourgois qui choisit des textes qui correspondent à ma sensibilité. Alors il se passe des choses… Je n’ai pas l’impression de faire de l’automatisme, il faut dire que l’écriture des textes est belle… On fait une belle traduction quand notre sensibilité arrive à être touchée par la sensibilité de l’auteur, quand on arrive à trouver son geste d’écriture, quand on a le même plaisir en relisant son texte traduit en français qu’on en a eu à le lire lorsqu’on l’a lu pour la première fois en anglais. Quand on est en adéquation avec son émotion de lectrice.
Est-ce que vous avez aimé ce roman, en tant que lectrice ?
Oui, oui ! Même si l’esprit du traducteur est déjà au boulot quand on lit un livre dont on sait qu’on va le traduire, il faut essayer de garder une certaine candeur. J’ai été bluffée, d’autant plus que je n’étais pas habituée à son style. Esprit d’hiver, c’est vraiment un bouquin qui vous entraîne. On ne comprend pas ce qui se passe, on se fait balader et puis le couperet tombe à la fin. C’est une expérience de lecture terrible.
Allez-vous continuer à traduire des textes de Laura Kasischke ?
J’aimerais bien !
Quel roman auriez-vous aimé traduire ?
Il y a un roman que j’essaie de faire traduire en ce moment, mais je ne vous dirai pas le titre ! J’ai découvert ce roman qui n’était pas encore traduit et je veux absolument le faire traduire ! Découvrir un texte dans sa langue originale, comme lectrice, juste pour le plaisir, et pouvoir le traduire : c’est le rêve !
Florence, 13/10/2015