Telle est la question qui nécessairement se pose, même si la forme de précédent créé par la série anglaise Downton Abbey constitue peut-être un début de réponse. Mais le parti pris de cette impression de lecture n’est pas du tout de faire un parallèle entre les deux, bien que la saga des Cazalet se déroule dans l’époque immédiatement postérieure, à partir de 1937, et que la psychologie des personnages était, de mémoire, également très détaillée dans cette autre fresque familiale.
Pourquoi, donc ? O combien de réponses possibles à cette question et, me concernant, la réponse « parce que c’est une saga » n’est pas la bonne non plus car je n’en lis que rarement et n’en suis vraiment pas particulièrement à la recherche.
Curieusement peut-être, la première réponse qui me vient est « parce qu’on entre et qu’on s’intéresse à la psychologie des enfants dès le début« . Cet aspect est notable car il est tout de même assez rare de voir des personnages évoluer de l’enfance à l’âge adulte et quand je dis « évoluer », il faut préciser « évoluer de l’intérieur » car Elizabeth Jane Howard alterne en permanence récit général de ce qui arrive à cette famille et incursions dans les pensées de la plupart de ses membres. C’est sans doute ce qui fait que l’on s’intéresse dès le début à chacun des personnages avec acuité, y compris à ceux des enfants tout à la fois voués à leurs propres vies d’enfants et à la contemplation de celles des adultes.
La deuxième est la surprise car les personnages évoluent tout au long de ces quatre tomes. Il est fascinant de voir à quel point, et aussi à quel point ces transformations qui peuvent parfois être radicales sont crédibles et permettent de dire avec brio que chaque être humain est qui il devient, et que personne ne peut prédire ce que l’autre deviendra, ce qu’il comprendra de lui et ce qu’il fera de cette compréhension. Le personnage de Zoé est particulièrement emblématique à cet égard, les épreuves de la vie venant percuter sa carapace si superficielle au début. Il y a également dans cette saga ceux dont on ne pénètrera jamais la psychologie et pour lesquels on continuera, avec leur entourage, à faire des hypothèses sur ce qu’ils pensent, le Brig et la Duche en sont les parfaits exemples. Superstructure de cette famille, ils sont comme le cadre qui délimite le tableau et au-delà duquel on ne pourrait plus apercevoir son motif. Ce qu’ils pensent de leurs vies restera donc mystérieux, ce qui est fidèle à ce qui se passe pour chacun car enfant d’une famille quelle qu’elle soit, on ne sait jamais qu’une partie de ce que ses parents pensent et de ce qui les a amenés à faire les choix de vie dont on est issus.
L’autre alternance fondatrice de cette saga est celle des lieux, les lieux où on est seul et les lieux où l’on est en « meute » familiale, Londres versus Home Place, Home Place où chaque personnage joue le rôle qui est attendu de lui en s’abandonnant à un soi façonné par le groupe, un soi qui est fonction de sa place et de sa responsabilité au sein du groupe familial. L’un des intérêts de l’alternance des points de vue adoptés dans ces quatre ouvrages est aussi de montrer combien la famille constitue à la fois un repère et une source d’enfermement qui peut conduire à une forme de renoncement à soi, à se connaître soi. Le personnage de Rachel illustre ce renoncement volontaire, cette projection entière et totale du soi dans le groupe, jusqu’à l’oubli de soi, ou presque bien entendu… car répétons-le, absolument aucun personnage n’est manichéen, aucun n’est exempt de questionnements, de secrets, de remises en question, d’actions non attendues.
En dernière réponse à la question « pourquoi ? » bien qu’il y en ait tellement d’autres, je dirais parce que reprendre la lecture de ces 4 tomes, le 5e devant sortir très prochainement en France (bien qu’Elizabeth Jane Howard ait disparu en 2014), c’est toujours reprendre le fil de la pensée de l’un des personnages dont on partage la solitude intérieure, ce qui permet de rompre merveilleusement la nôtre.
Donc n’hésitez plus à vous immerger dans l’histoire des Cazalet, c’est fin, intelligent, délicat, profond.
France, le 26 septembre 2022
La saga des Cazalet : Etés anglais (T.1), A rude épreuve (T.2), Confusion (T.3), Nouveau départ (T.4), Elizabeth Jane Howard, Gallimard, 2021, 2022
Les Cazalet, c’est presque une famille d’amis. Et c’est très excitant de les retrouver. Peut-être avons-nous besoin de ce genre de lecture dans les temps un peu tourmentés que nous traversons?
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merci pour ce résumé.Ça donne envie d’y plonger .
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