Le nouveau nom d’Elena Ferrante

elena-ferrante-le-nouveau-nom-liseuses-de-bordeauxLe nouveau nom est le titre du second volume de la saga napolitaine d’Elena Ferrante, auteure italienne dont on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’elle désire rester dans l’anonymat…

Nous avons déjà évoqué le premier tome de ce vaste récit intitulé L’amie prodigieuse. Pour rappel, ces romans peuvent se lire comme la chronique d’un quartier populaire de Naples dans la deuxième moitié du 20e siècle. Ils déroulent le quotidien de petites gens, ouvriers et artisans, confrontés aux problèmes de pauvreté et de promiscuité, dont la vie est réglée par les valeurs traditionnelles de la famille, soumise aux lois du patriarcat.

Sur deux décennies, l’histoire de l’Italie s’inscrit en toile de fond des devenirs individuels.

Cette fresque sociologique et politique est aussi un roman féministe : c’est en effet l’histoire de deux amies intimes qui sont nées et ont grandi dans le même quartier. Tout comme leurs mères avant elles, elles sont prises dans les rets de leur condition subalterne de femmes, de femmes pauvres, soumises d’une part à l’autorité des hommes, époux, père ou frère, prisonnières d’autre part des dures contraintes ménagères et de l’éducation des enfants.

Au début de ce tome II, nous retrouvons Lila et Elena adolescentes. Lila, brillante et fantasque, a dû abandonner l’école sous la pression de son père. A seize ans, elle est déjà mariée à un riche épicier du quartier. Elena, encouragée par son institutrice, a intégré le lycée mais rencontre des difficultés dues à son origine plus que modeste. Toutes deux, filles intelligentes et lucides, essaieront, chacune à leur manière, de briser le déterminisme lié au sexe et au milieu.

Hélas, l’aisance n’apportera pas à Lila la liberté escomptée et son mariage est un échec. Son parcours est pavé de déceptions et de souffrances. Les moments de révolte seront suivis de bravades souvent autodestructrices. Elle cherchera à s’imposer dans ce milieu d’hommes imbus de leur pouvoir, pour certains d’authentiques mafieux, et pensera parfois y parvenir grâce à son culot et à son inventivité, mais au bout du compte ce sont sa beauté et sa jeunesse qu’elle va user, sans toutefois renoncer à sa vitalité et surtout à sa quête d’authenticité.

elle réagissait en m’expliquant qu’en réalité je n’avais rien gagné, que dans ce monde il n’y avait d’ailleurs rien à gagner, que sa vie était aussi débordante daventures surprenantes que la mienne et que le temps ne faisait que passer …

Son amie, Elena, narratrice de cette histoire, s’engage sur la voie des études. Elle fréquente le lycée, puis l’université, honteuse de sa condition de fille pauvre, de ses habits usés, de ses expressions dialectales; Au risque de se perdre, elle cherchera avec détermination à échapper à son milieu. Sa quête sera longue et douloureuse, marquée par le doute, les complexes et le découragement. Elle finira par quitter Naples, soucieuse d’effacer les traces de son appartenance sociale, mais désespérant d’y parvenir.

Je perdis le plaisir de corriger ma voix, mes gestes et mes façons de m’habiller et de marcher, comme si j’étais en compétition pour le prix du meilleur déguisement et du meilleur masque – tellement réussi qu’on aurait presque dit un visage (… ) Je craignais ceux qui savaient être cultivés sans ce presque, avec désinvolture .

Au-delà du parcours de ces deux jeunes filles, ce récit est surtout l’histoire d’une amitié profonde, intense mais souvent menacée et remise en question par les aléas de la vie et des trajectoires différentes. Les jalousies, les ressentiments et les incompréhensions les éloigneront l’une de l’autre, chacune offrant à l’autre le miroir de ses propres craintes et déceptions. Pourtant, le lien ne se démentira pas soixante ans durant.

L’auteure maîtrise parfaitement les codes du récit romanesque et restitue avec brio le devenir des petites gens qui peuplent ce quartier napolitain et leur évolution dans le boom économique d’après-guerre. Son écriture, tout en finesse et intelligence, évoque avec justesse les sentiments, les émois, les joies et les peines de très jeunes gens au seuil de leur vie d’adulte. Elle sonde avec une lucidité qui vire parfois à la férocité les méandres de la relation compliquée des deux héroïnes, jusque dans leurs moindres nuances.

Ce deuxième opus me semble encore plus abouti que le précédent, car il excelle à restituer la complexité de l’âme humaine et de ses choix à un moment déterminant de la vie : l’entrée dans l’âge adulte. Le récit de l’évolution des deux jeunes filles n’en est que plus prégnant et la fin du roman laisse le lecteur en attente.
Heureusement, ce roman doit être suivi d’un troisième tome, attendu, cela va sans dire, avec beaucoup d’impatience.

Marie-France, 09/05/2016

2 réflexions sur “Le nouveau nom d’Elena Ferrante

  1. Bonjour chères Liseuses,

    J’espère que toute l’équipe va bien. Merci pour vos chroniques toujours aussi agréables à lire.

    J’ai le plaisir de vous annoncer que L’Effacement sera publié en Folio en 2017. Je travaille au deuxième,

    Bien à vous toutes, Pascale

    Pascale Dewambrechies L’Effacement Ed. Passiflore Lauréat Festival du Premier Roman de Chambéry 2015 Lauréat Prix de Saint Estèphe 2015 Prix du (Métro) Goncourt

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    • Bien chère Pascale,
      Merci pour votre soutien sans faille! Nous sommes très heureuses d’apprendre la sortie en poche de L’ Effacement que nous avons sincèrement beaucoup aimé. Félicitations! Et nous attendons la sortie du deuxième avec impatience…A bientôt !

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