Je n’ai pas eu d’autres universités que les librairies
La Machine à Lire proposait récemment un vagabondage en littérature en compagnie de Guy Bedos. Dans la vitrine préparée pour sa venue, pas de pamphlet politique, mais de la poésie, du théâtre et des romans. Même s’il n’est plus aussi alerte, Guy Bedos n’en reste pas moins charmeur et acerbe. Souvent la tête baissée, il répond, cherche parfois ses mots, mais lorsqu’il lève le nez et regarde droit dans les yeux son interlocuteur, son regard est profond et bien vivant. On reste sous le charme ! Pour Guy Bedos, qui a peu fréquenté l’école et « n’a pas eu d’autre université que les librairies », la littérature est avant tout une affaire de rencontres.
Côté cœur, il y a ceux qui l’ont aidé, qui l’ont accompagné et sont souvent devenus des amis. Pierre Desproges (Les étrangers sont nuls), l’anarchiste de droite devenu ami d’un anarchiste de gauche. Boris Cyrulnik (Les âmes bléssées), qui le verrait bien « Président de l’association des résilients » ! Un ami également, un penseur d’aujourd’hui, comme Michel Onfray, avec qui il partage une expérience commune « de miséreux affectif de l’enfance ».
Prévert a beaucoup compté pour lui. Enfant, il interrompait les cours de grec pour réciter ses poèmes, avec tellement d’enthousiasme que les professeurs le laissaient faire. Guy Bedos, formé à l’Ecole de théâtre de la rue Blanche, lui confiait son amour du théâtre classique – Marivaux, Molière – et son désintérêt pour le Boulevard. Prévert l’encouragea à écrire ses propres pièces, ce qui lui parut inaccessible. Il écrivit alors, grâce à cette rencontre, son premier sketch.
Côté cœur également, les écrivains amoureux des chiens et des chats, Léautaud, Colette, Jules Renard. Un amour qu’il partage, atterré que l’on ait pu considérer les animaux domestiques comme des biens meubles et non comme des être vivants.
Pour Camus, un enfant de l’Algérie comme lui, il a une véritable passion. Pour l’auteur et pour son écriture. Il le relit encore. Sur sa table de chevet, Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud, qu’il n’a pas encore terminé.

Mais en lecteur avisé, il a défriché d’autres littératures que celles des contemporains qu’il a pu côtoyer. A propos de la littérature américaine, il confie « C’est ma femme qui m’a fait lire Fitzgerald et plus tard Salinger (L’attrape-cœurs), Philip Roth (Portnoy et son complexe). Celui-ci m’a aidé à écrire autre chose que des sketches, il m’a inspiré. » Guy Bedos est fier d’avoir réussi l’adaptation au théâtre de Dérapages d’Arthur Miller. A propos de Céline, « J’ai lu 2 ou 3 livres de Céline qui étaient lisibles et remarquablement écrits mais je n’ai pu en finir d’autres car les propos étaient trop racistes ». Jean Anouilh : « On ne votait pas de la même façon, mais c’était un auteur magnifique. » La liste est longue des auteurs évoqués ce soir-là à la Machine à Lire. Citons, car il faut bien finir, Amos Oz (Une histoire d’amour et de ténèbres, Entre amis) et David Grossman (Une femme fuyant l’annonce, prix Médicis 2011), « deux israéliens fréquentables, deux grands écrivains engagés ». Oui, Guy Bedos continue de pointer du doigt les injustices qui le mettent en colère, ses choix littéraires en sont témoins.
Isabelle et Babeth
Aparté (très) personnel d’Isabelle :
Guy Bedos c’est mon Tonton ! Un oncle de cœur avec lequel j’ai appris à rire et à réfléchir. Quelle meilleure façon d’éveiller les jeunes consciences au racisme ordinaire que son Vacances à Marrakech ? Oui, j’ai étudié ce texte au collège. Puisque Guy Bedos venait parler littérature à la Machine à Lire, je me devais d’y être. Comme la soixantaine de personnes présentes ce 3 décembre 2014, j’ai passé deux heures savoureuses.
Merci Guy Bedos pour cette balade sensible avec les auteurs qui vous ont construit. Je voudrais à mon tour vous conseiller une lecture joyeuse et lumineuse : L’importance de vivre écrit par un Chinois voyageur, Lin Yutang, en 1938, quand l’Europe retentissait de bruits de bottes. Voici l’importance qu’il donne à l’humour dans la vie des sociétés humaines :
La réalité + les rêves = l’idéalisme (ou le mal de cœur !)
Les rêves – l’humour = le fanatisme
Les rêves + l’humour = la fantaisie
La réalité + les rêves + l’humour = la sagesse