Mudwoman de Joyce Carol Oates

joyce-carol-oates-mudwoman-liseuses-de-bordeauxUne fois de plus, je me suis plongée dans la lecture d’un roman de Joyce Carol Oates. Il s’agissait cette fois-ci de Mudwoman paru en 2013 et qui s’était vu décerner par la rédaction de Lire le prix du meilleur roman étranger cette même année.
Chaque lecture d’un roman de J.C. Oates est une plongée dans un univers plein de noirceur où les personnages – presque toujours des héroïnes – ont à lutter pour surmonter des traumatismes qui menacent de les détruire.

C’est le cas de MR – Meredith Ruth Neukirchen – qui grâce à son intelligence brillante et un comportement irréprochable gravite dans les hautes sphères universitaires. Elle est la première femme à être devenue, à quarante ans, présidente d’université, peut-être aussi parce qu’elle peut totalement se consacrer à cette fonction n’ayant ni mari, ni enfant. Cela ne la met pas à l’abri des remarques et des comportements machistes de ses illustres confrères qu’en vraie féministe elle préfère ignorer.

Derrière cette personnalité extrêmement lisse se cache en fait un énorme traumatisme qu’elle a jusqu’à présent réussi à surmonter tant bien que mal. A l’âge de trois ans, elle a été précipitée par une mère infanticide dans un ravin boueux – d’où le titre qui fait référence à la boue (mud en anglais). Elle sera sauvée cependant, et adoptée par un couple de parents quakers aimants qui sauront développer son intelligence et favoriser sa maturité précoce (à défaut de sa faculté à les aimer).

Un congrès universitaire la conduit un jour dans les Adirondacks non loin des lieux de sa petite enfance. Comme dans une crise de somnambulisme elle retourne à l’endroit où s’est joué le drame et cette rencontre avec le marais mortifère va commencer à lézarder la belle construction édifiée sur l’horreur. Le retour de l’innommable inscrit dans son corps et sur son visage les traces laissées par la boue du marais. Les séquelles du passé retrouvé la laissent subitement tremblante et sans voix devant l’assemblée de ses éminents confrères. Le psoriasis la ravage, les hématomes causés par une chute dans l’escalier renvoient de manière troublante à ceux causés par les mauvais traitements de sa mère.

Autour d’elle on s’étonne, on jase, on s’apitoie, démonté par le vacillement d’une si forte personnalité. MR disparaît peu à peu, rattrapée par Mudwoman qui va mettre au jour l’écheveau embrouillé de sa psyché et la confronter à tout ce qu’elle pensait avoir vaincu.

Le lecteur erre dans les méandres tortueux de cette personnalité morcelée. Flashbacks et retours au présent se mélangent, les images oniriques des rêves et des fantasmes alternent avec la présentation des problématiques de la vie universitaire en prise avec le réel. C’est le début de la guerre d’Irak, défenseurs et opposants s’affrontent, conservateurs et progressistes bataillent sur des sujets de société. L’ensemble se chevauche, s’entrecroise si bien qu’il est parfois difficile au lecteur de s’y retrouver immédiatement. Mais très vite le rebondissement improbable, la sensation d’étrangeté fait place à une réalité coutumière qui ramène le lecteur à ses repères.

Le personnage de Mudwoman rejoint la galerie de tous les autres qui peuplent les romans de J.C. Oates depuis des décennies, personnages torturés par leurs démons intérieurs et dont le destin, au vu de ce qu’ils ont vécu, semble tout tracé. Mais Mudwoman, comme la fille du fossoyeur* avant elle,  ont la capacité de rebondir. Pour certaines de ces héroïnes, ce sont en somme des histoires de résilience…

Marie-France

* Rebecca, héroïne de La fille du fossoyeur, roman de J.C. Oates paru en 2010

2 réflexions sur “Mudwoman de Joyce Carol Oates

  1. Je suis impressionnée par ce roman qui plonge dans l’âme de son héroïne, MR Neukirchen, aujourd’hui présidente d’université, autrefois presque tuée par sa mère biologique. Mudwoman est un très beau portait de femme, complexe, à l’analyse psychologique très aboutie. Joyce Carol Oates décrit avec une précision, une finesse incroyable la perte de confiance de cette femme brillante et la honte qu’elle en ressent : « Ces petites hontes montaient à sa conscience, telles des bactéries en furie ».
    Joyce Carol Oates s’interroge sur les conséquences du rejet d’un enfant par sa mère biologique. Peut-il vivre sans cet amour ? Et plus généralement, peut-on vivre sans amour ?
    Les titres des chapitres, ironiques, m’ont interpellée : je n’ai pas compris tout de suite la prise de distance de l’auteure avec la noirceur de l’histoire…
    Joyce Carol Oates est assurément la « peintre des âmes noires ».

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  2. Grande fan de JC Oates je me suis donné pour objectif de lire tous ses livres (il me faudra peut-être plus d’une vie pour cela). Je vous conseille l’un de ses premiers romans « Des gens chics » dans lequel on assiste à la naissance d’une écrivaine hors norme, le magnifique « Blonde » qui nous fait découvrir la psychologie de Marilyn, et l’autobiographique « J’ai réussi à rester en vie » sublime analyse du deuil et de l’instinct de vie.

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