Dans son troisième roman, Géographie d’un père, paru aux éditions Passiflore en novembre 2022, Pascale Dewambrechies met en exergue une citation de Marguerite Duras : « Ecrire, c’est écrire sur soi. » L’imagination n’existe pas. Son livre, qui se présente pourtant comme un roman avant d’être un récit autobiographique, est le plus personnel de ses trois ouvrages. C’est une vibrante adresse au père disparu. Un père qui s’est éloigné d’elle lorsqu’elle avait 14 ans, mais dont elle a croisé à nouveau le chemin peu de temps avant sa mort, après 25 ans de silence.
Ta mort qui nous sépare, me fait toucher tout ce vide. Immense. Je me demande comment je l’ai comblé, qu’est-ce que j’y ai mis.
La mort du père l’a fait resurgir dans sa vie. Au fil des années qui ont suivi cette ultime rencontre, où rien n’a été dit – nous avons trop à nous dire pour nous dire quelque chose – elle va peu à peu prendre conscience du mal-être que l’absence du père a imprimé en elle, de ce qui souterrainement a produit du malheur.
Cette souffrance à peine née, trop ténue pour que je la mesure, deviendra immense.
Les souvenirs remontent, elles les convoque aussi, les bons qui font advenir l’image aimée du père dans toute sa gloire d’antan, comme les mauvais, ceux qui mènent au divorce de ses parents, à la perte du père. Le lecteur se glisse à la suite de l’auteure dans cet entre-deux subtil où se nichent les joies et les tristesses les plus intimes.
Je mets bout à bout des bouts de mes souvenirs, mes pensées, mes idées, et dans un désordre apparent, je les laisse se tisser, se faire et défaire, à l’endroit, à l’envers.
Son père, elle ne l’a pas beaucoup vu finalement, même lorsqu’elle était enfant. Mais de l’amour qui les liait alors, elle ne doute pas. Alors pourquoi n’est-il pas venu la chercher un jour, après le divorce. Pourquoi a-t-il installé le silence ?
Aujourd’hui, la question est pourquoi ce désamour veut-il une explication.(…) Que faire de cette temporalité qui explore, par-delà ta mort, la réponse à une question que je te pose aujourd’hui alors que tu ne peux réagir.
N’a-t-elle pas elle-même contribué à cette séparation qui la soulageait d’un climat familial devenu trop pesant ? Difficile pour l’adolescente intransigeante qu’elle était alors, d’intégrer le père dans le nouvel ordre familial.
L’auteure va questionner ce qui lui reste de lui : une vieille photo de communiant, ce qu’elle sait de son histoire familiale. Au travers de ce qu’il fut, un enfant lumineux, un militaire qui avait fait les guerres coloniales, un homme en proie à ses démons, elle essaie de donner un sens à son retrait total de la vie de sa fille. Cependant un père reste un père, on l’appréhende avant tout dans la relation de paternité qui est la sienne. Au-delà du père, qu’il est difficile d’approcher l’homme qu’il fut, d’explorer sa vie intime, de
sonder ses faiblesses, d’expliquer ses défaillances ! Surtout quand cet homme n’est plus…
Je mesure ce que je n’avais jamais fait, la souffrance qui a dû être la tienne. Aujourd’hui, je sais. Tu n’es plus là. Nous n’en parlerons pas. Je parle avec ta mort. Elle, elle sait. Elle a emporté avec elle tout ce que j’ignore.
A la recherche du père, l’auteure s’est aventurée dans des contrées inexplorées, dont les frontières sont parfois infranchissables et pourtant franchies. Ce dont il est question ici, c’est d’une géographie. Une question de territoires qui se côtoient, se chevauchent et s’interpénètrent. Miracle de la littérature ?
La littérature, c’est ce qui donne à Pascale Dewambrechies la possibilité de creuser les blancs de son histoire.
Elle (l’écriture) entraîne vers des lectures qui soudain prennent sens. Elle fait émerger des textes des autres des vérités éblouissantes.
De la lecture à l’écriture, il n’y a qu’un pas. Ce qu’on a appréhendé de soi dans d’autres textes, on le creuse, on en fait du plein, du plein au plus près de sa vérité. L’écriture s’enracine de manière existentielle dans la recherche du vécu.
Ecrire, c’est jouer à l’équilibriste tout le temps. C’est se confronter à soi (…) chercher à se retenir à une paroi qui s’effrite et puis soudain accepter de glisser sans se retenir. Il m’arrive de penser que dans le vide laissé par le glissement, la recherche indissociable de la perte, des mots me dévoilent ce que je suis enfin.
A la fin du roman, Pascale Dewambrechies revient à la citation de Marguerite Duras, écrire, c’est écrire sur soi. Elle la reprend totalement à son compte. Inévitablement, l’auteure fournit le matériau qui nourrit le travail. Mais alors, l’imagination ?
L’imagination est alors cet indispensable ingrédient dont fait usage l’autrice pour faire lien entre des évènements vécus, nés de son histoire, retrouvés dans son écheveau personnel, pour tisser du nouveau avec l’ancien;(…) Ecrire, c’est faire.
Dans ce voyage où la mort mène la danse, où cependant le réel est transcendé par l’imagination, l’auteure se rencontre et trouve de la vie. L’absence a créé du vivant : C’est bien le vide, celui que tu as laissé en partant qui me fait pleine.
Cette histoire, il est quasi-impossible à une tierce personne de la raconter. Seule l’écriture si personnelle de l’auteure, une écriture percutante, à l’os, peut la faire résonner en nous, d’intériorité à intériorité, même si notre expérience n’a pas été la même ou tout à fait la même.
C’est une lecture émouvante que celle de ce livre dont la musique atteint à coup sûr ceux qui l’écoutent.
Marie-France, le 19 avril 2023
Géographie d’un père, Pascale Dewambrechies, Editions Passiflore, 2022
Merci pour cette très belle et très attentive lecture de Géographie d’un père qui me touche beaucoup. Pascale Dewambrechies
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