Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, de Maria Larrea

Dans ce roman, Maria Larrea, réalisatrice et scénariste franco-espagnole qui vit à Paris, nous raconte son histoire familiale. Ce premier roman salué par la critique est donc une auto-fiction où s’entrelacent deux fils narratifs : l’un évoque la naissance et l’enfance des parents de Maria, l’autre sa propre enfance puis la découverte bouleversante qu’elle fait à l’âge adulte qui la projette dans la quête quasi-obsessionnelle de ses origines. L’histoire souvent rocambolesque, mais vraie, de trois destins marqués par le même événement.

Cette histoire, elle commence en Espagne, en Galice, à l’époque de Franco. Elle s’ouvre sur une scène d’un réalisme saisissant : une femme de pêcheur en train de battre un poulpe pour l’attendrir, ressent les premières douleurs de l’enfantement, poursuit sa tâche malgré les contractions et accouche sur la table de cuisine, aidée par une voisine. Image spectaculaire qui donne d’emblée le ton du récit. Ce sera la première naissance dans un canevas romanesque qui en compte bien d’autres. Le bébé est une fille, Victoria. Sa mère voulait un garçon, elle l’abandonne sur les marches d’un couvent. Victoria sera la mère de Maria.

Second accouchement : une péripatéticienne obèse qui officie à Bilbao se retrouve enceinte des œuvres d’un « régulier ». Elle accouche et confie l’enfant aux Jésuites. Il s’agit de Julian, le père de la narratrice. Les enfants abandonnés grandissent, se rencontrent et se marient. Ils n’ont pas d’avenir dans l’Espagne franquiste. Pour fuir le manque de perspectives, la misère, les traumatismes de leur enfance et la proximité de familles indignes, ils émigrent à Paris où nombre de leurs compatriotes les ont précédés dans les loges de concierges et les chambres de bonnes du 16e. Ils y fondent une famille : une petite Maria, née à Bilbao, partage désormais leur vie, Julian est gardien du théâtre de La Michodière et l’enfant grandit dans ce théâtre, entourée des fantômes de Sacha Guitry et Pierre Fresnay, et entourée aussi des armes à feu de son père qui est basque nationaliste et fan de l’ETA, et tout cela dans les vapeurs d’eau de Javel de sa mère, pour reprendre les mots mêmes de l’autrice présentant son roman.

L’adolescence et la construction de soi sont difficiles, marquées par la rébellion, la défonce, des douleurs physiques que Maria ne s’explique pas, liées à un profond mal-être. Il n’est pas facile à l’école d’être fille d’immigrés, en butte à toutes sortes de petites vexations, même si on a du caractère et une solide intelligence. A la maison non plus, le quotidien n’est pas toujours rose, avec une mère certes bienveillante, mais peu communicative, se détruisant le corps et l’esprit à force de ménages.

La succession de gestes formant la chorégraphie du nettoyage, les divers instruments utiles à son œuvre, plumeau, torchon, chiffon, éponge, sac-poubelle, aspirateur, tout cela l’empêche de réfléchir et c’est bien mieux ainsi. Victoria ne voulait pas penser. Elle s’était toujours refusé le vertige de la réflexion. Pourquoi il me frappe ? Pourquoi je n’ai pas de bébé dans le ventre ? Pourquoi je lave les culottes sales de ma patronne ?

Chez son père, elle admire la fierté du nationaliste basque, mais a peur de sa violence et honte de ses extravagances et de sa dérive dans l’alcoolisme. Parallèlement à cela cependant naît une véritable vocation : Maria fait des études à la Femis, devient réalisatrice. Elle se marie et donne naissance à un fils, une situation qu’on pourrait somme toute qualifier de normale, jusqu’à ce que l’histoire bascule sur un coup de théâtre, une révélation confirmée par quatre mots de sa mère : la fille de personne. Ceci éclairera d’un jour nouveau certains aspects de la vie des parents et précipitera Maria dans la recherche fiévreuse des circonstances de sa naissance.

Le roman ouvre une fenêtre sur une époque sombre de l’histoire de l’Espagne, qui dura jusqu’à la fin des années 70. Les institutions catholiques y ont joué un rôle écrasant. Elles assuraient un contrôle moral, en adéquation avec le régime, sur les nombreux enfants orphelins, abandonnés ou même tout simplement volés dont le destin leur était confié. Elles servirent aussi d’intermédiaires lors des nombreuses adoptions illégales et autres falsifications d’extraits de naissance qui rapportèrent à leurs organisateurs de belles sommes d’argent. Force est aussi de constater que cette période n’a pas « gâté » les femmes, ne faisant qu’accentuer leur asservissement à une société patriarcale particulièrement brutale.

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent est aussi l’histoire d’un secret familial débusqué par les pratiques magiques d’une tarologue. C’est un secret vital pour Julian et Victoria, sur lequel ils ont fait reposer le fragile équilibre familial, eux qui n’avaient jamais eu de famille et avaient d’autant plus besoin de se sentir validés dans leur filiation.

A la lueur de cette révélation, l’autrice explore son enfance ; dépassant le ressentiment et la colère provoqués par le mensonge familial, elle se penche sur le vécu de ses parents, analyse leur personnalité. Tout en recherchant activement sa famille biologique, elle questionne les liens qui l’unissent à Julian et Victoria et en découvre la profondeur :

Au delà du patronyme, il n’y avait aucun doute : cet homme au faux air d’Al Pacino était bien le grand-père de mes enfants. Même si je n’étais pas issue de la fusion d’un de ses spermatozoïdes avec un des ovules de ma mère. Cet homme était mon père.

Elle se pose dorénavant la question de ce qui constitue une famille.

En rentrant chez moi, je décide de commencer l’écriture d’un roman. J’entrevois ce que je peux raconter à défaut de trouver la source de mes vérités. Raconter la grappe humaine que nous formons, Victoria, Julian et moi, trois orphelins d’une même nation.

J’ai lu ce roman quasiment d’une traite, prise par la force de l’écriture. Ecriture énergique, style vif et enlevé, alliant la sincérité à l’autodérision, le burlesque au désespoir. La construction narrative n’est pas linéaire, elle rebondit sur le passé, anticipe l’avenir. Surtout dans la première partie, une série de courtes scènes retrouvent le chemin des souvenirs de Maria.

A la fois témoignage d’une époque et expérience intime, le livre est de ceux qu’on n’oublie pas.

Marie-France, le 13 février 2023

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, Maria Larrea, Grasset, 2022

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