C’est une drôle de rencontre : celle d’Alice, une jeune thésarde joyeuse et d’un thanatopracteur taciturne. Sylvain n’est pas un embaumeur normal. Il sent les morts. Cela peut paraître bizarre, mais il a le don de sentir des particules olfactives jaillies du néant.

«A leur contact la voix bourrue et sèche de l’embaumeur devenait enveloppante comme celle d’un conteur et Alice se laissait bercer, transporter par ce son grâce auquel, sous leurs yeux, les chairs figées reprenaient couleur et vie. »
Alice a grandi aux côtés d’une mère sourde dont elle était les oreilles. La musique est omniprésente dans sa vie, et elle en fait bénéficier (lors des trajets en camionnette) son maître de stage. Ah oui, j’ai oublié de vous dire qu’Alice écrit une thèse sur les thanatopracteurs. C’est donc dans ce but qu’elle accompagne Sylvain dans ses déplacements et le regarde travailler. On ne peut pas dire qu’il apprécie sa compagnie, ni ses commentaires ou ses questions. Alice est d’une nature spontanée. Elle a pour habitude de nouer facilement des relations par sa curiosité bienveillante et sincère. Elle ne s’impose pas.
«Elle s’attachait aux gens aussi rapidement et légèrement qu’elle s’en détachait. Ce n’était pas, pourtant, qu’elle n’accordait à ces gens aucune attention volatile et superficielle, vite oubliée et balayée, au contraire : ceux-ci imprimaient en elle une empreinte profonde malgré la fugacité de leurs rapports… Elle ne les laissait toutefois s’incruster que dans son passé, jamais vraiment dans son présent, et encore moins dans son futur. Il en était ainsi des gens comme du reste : Alice ne s’arrimait réellement nulle part. »
Sylvain n’a pas toujours été cet être froid et triste. Avant il était heureux avec sa Ju’, il était apprécié et remarqué pour ce nez qui le prédestinait à une grande carrière de parfumeur. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, c’est auprès des morts qu’il tente de survivre, en les touchant pour pratiquer son métier avec finesse, en les humant et en les maquillant pour leur redonner leur apparence de vivant. Sylvain vit avec un secret qu’Alice va découvrir. C’est un roman qui m’a touché pour plusieurs raisons. D’abord pour la description des odeurs, des bruits et du regard sur la vie, la mort. Marie Mangez utilise le mot SENS dans tous les sens du terme. Les 5 sens sont décrits au travers des deux personnages principaux. Mais l’auteur s’interroge aussi sur le sens de la vie. Avec Alice dont l’existence est cousue de provisoire, qui se sent « en permanence confrontée à l’impermanence« . Avec Sylvain dont la vie s’est bloquée 15 ans auparavant.
«Depuis ce jour où le parfum de la mort avait remplacé tout le reste. »
Ce roman est loin d’être plombant ! Il respire la vie parce qu’il nous interroge, nous fait réfléchir. C’est aussi un roman sur la croisée des chemins : de ces rencontres qui peuvent changer notre vie.
Babeth, le 9 décembre 2021
Le parfum des cendres, Marie Mangez, éditions Finitude