Le dernier roman de Véronique Ovaldé Personne n’a peur des gens qui sourient, édité chez Flammarion, se lit comme un thriller psychologique dans lequel l’autrice a su habilement ménager le suspense jusqu’à la fin.
Le premier chapitre est à ce titre remarquable, la tension y est à son paroxysme. Après avoir en toute hâte rassemblé le strict nécessaire – le Beretta de son défunt mari, les passeports, les peluches de la benjamine et des livres pour l’aînée – Gloria, l’héroïne, embarque ses deux filles à la sortie de l’école et leur fait parcourir la France sans aucune explication, des rivages de la Méditerranée à un petit bourg alsacien où la jeune femme possède une maison héritée de sa grand-mère. Gloria agit avec détermination et sang froid, apparemment prête à tout pour aménager « une zone de sauvetage » à ses filles et les mettre à l’abri du danger.
Mais de quel danger s’agit-il ?
Omniprésent au début du roman, le danger semble ensuite s’éloigner et permettre à Gloria, à Stella, l’adolescente revêche et à Loulou, l’enfant rêveuse et joyeuse, de profiter de l’été au cœur de la forêt vosgienne et de prendre leurs marques pour y commencer une nouvelle vie. Ce danger semble pourtant se matérialiser vers la fin du roman avant d’être balayé par un dénouement inattendu qui laisse le lecteur un peu désemparé et le force à reconsidérer l’histoire.
C’est que Véronique Ovaldé n’a pas hésité à laisser planer des ambiguïtés qui brouillent les pistes. Elle sème bien ici et là quelques indices, mais ils passent pour ainsi dire inaperçus.
Par une série de retours en arrière, nous en apprenons davantage sur la vie de Gloria, jeune fille solitaire et un brin étrange, qui a dû se construire très tôt sur la base d’événements familiaux dramatiques et en a gardé une profonde défiance pour le monde extérieur. Elle a décidé après la mort de son père de ne s’attacher à rien ni personne... Elle abrite au fond d’elle même une colère immense qui se mue en états dépressifs ou émerge parfois en pulsions violentes qu’elle s’entraîne à contrôler en organisant sa vie de façon raisonnable et rigoureuse.
(Même si) à l’adolescence elle avait enfoui soigneusement au fond d’elle ses propres tendances apocalyptiques pour tenter de vivre sa vie de jeune fille libre. Cette prédisposition à l’attente de l’apocalypse ressemblait à ces infections que vous portez en vous et qui vous laissent en paix, tapies dans vos organes, avant de sortir au grand jour.
Ce qui ne l’empêche pas, à 17 ans, de s’abandonner sans entraves à l’appel du grand amour incarné par Samuel, un beau et tendre voyou dont elle aura deux filles !
Au gré des flash-back nous suivons la vie du couple, nous assistons au long épuisement de leur amour, à l’insatisfaction peu ou prou maîtrisée de Gloria, nous rencontrons Tonton Gio, grand collectionneur de boîtes à musique qui se considère comme son père adoptif et Pietro Santini, l’avocat et ami de son père, deux autres personnages qui ont peuplé sa vie jusqu’à l’incendie de l’atelier de Samuel dans lequel celui-ci a perdu la vie.
Certes, ce roman ne traite pas de choses très gaies, il est parfois oppressant mais il est éclairé par des moments de grâce : la rencontre et le coup de foudre de Gloria et Samuel par exemple, et par des personnalités lumineuses comme celle de Loulou la petite fille de 6 ans, qui sait trouver dans la nature un univers merveilleux qu’elle anime au gré de son imagination et qui, comme sa mère enfant, entretient une relation avec l’invisible. D’où l’irruption du fantastique dans le récit avec son cortège de spectres et de fantômes
Par ailleurs le traitement de certains personnages, celui d’Antoinette Demongeot en particulier, ne manque pas de ressorts cocasses.
Et puis, nous voyons évoluer l’héroïne : Gloria, libérée de l’emprise des trois hommes qui peuplaient son quotidien, prend sa vie en main et se mue en mère louve ce qui donne un nouveau sens à son existence… « C’est être mère qui lui procurait le sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand. »
Le ton de la narration est léger, voire enjoué, il forme parfois un contraste avec le côté dramatique de certains événements mais n’altère pas la tension engendrée chez le lecteur. C’est ce qui donne au roman sa forme originale.
Un petit bémol cependant : cette légèreté voulue m’a un peu dérangée lorsque l’autrice s’invite au détour d’une phrase et s’adresse directement au lecteur ou bien lorsqu’elle commente ou complète à l’aide de parenthèses ce qui vient d’être dit. Personnellement, cette façon de « casser » la narration m’a semblé superflue, à moins qu’elle ne soit là pour accentuer le côté « fable » de l’histoire. C’est que Véronique Ovaldé mêle les genres avec grand plaisir ce qui alourdit parfois l’histoire, mais la lecture du roman n’en pâtit pas vraiment et reste agréable et intéressante.
J’ai entendu l’autre jour Véronique Ovaldé parler de son roman dans le cadre de l’Escale du Livre de Bordeaux et il me semble intéressant de vous restituer, en contrepoint, ses propos concernant sa technique narrative et son intervention directe dans le roman.
Voici grosso modo ce qui en ressort :
Son roman est écrit à la troisième personne, mais sa foi en la fiction nécessite un « je », procédé qui est dans ce roman plus visible que d’habitude. Il représente une forme d’amusement et de complicité avec le lecteur et correspond à notre appétit d’histoires à tous. Elle veut être dans la narration au plus proche de l’écrivain. Ce besoin d’une musique particulière explique son intervention.
Voilà ! Au lecteur de juger et quoiqu’il en soit, bonne lecture ! Le roman en vaut la peine !
Marie-France, 20 avril 2019