Anna Enquist est invitée cette année au festival Lettres du Monde. Florence animera trois rencontres à ses côtés et nous parle de son dernier roman, Quatuor, publié chez Actes Sud.
Quatuor d’Anna Enquist est un beau roman sur l’amitié dans lequel la musique joue un rôle majeur. Chaque personnage souffre d’un manque, d’une perte et trouve dans sa pratique un espace d’apaisement.
Le quatuor dont il est question est formé d’Hugo, de sa cousine Heleen et d’un couple d’amis, Jochem et Caroline. Hugo est en pleine déroute professionnelle. Il est le directeur du Centre, qui fut autrefois le Palais de la Musique, mais qui n’est plus qu’un lieu loué aux entreprises désireuses de profiter de sa situation exceptionnelle dans la ville pour organiser séminaires et autres colloques… Heleen compense son mal-être en correspondant avec des prisonniers et en pensant naïvement que la sollicitude suffit aux relations humaines; quant à Jochem et Caroline, ils se perdent dans le chagrin et la culpabilité depuis la mort de leurs deux fils dans un accident d’autocar.
Tous les quatre sont liés par la musique et les répétitions qu’ils organisent chez les uns et les autres ont pour effet de suspendre leur temps : alors seule la musique compte. Même si le quatuor qu’ils forment est loin d’être toujours harmonieux et que des dissonances se font entendre, leur rôle dans le groupe, leur désir de jouer les portent. La musique, parce qu’elle laisse surgir les émotions, leur permet de se trouver et se retrouver.
Reinier est le cinquième personnage de ce roman. La vieillesse l’a rendu vulnérable et la peur de l’Autre l’a gagné. Il vit seul chez lui dans la crainte d’une intervention des services sociaux qui le placeraient dans une institution. Alors il sort peu, limite ses contacts avec l’extérieur. Il ne laisse personne entrer chez lui, sauf Caroline, à qui il donne des cours de musique. Ses journées sont pleines d’anxiété et jouer du violoncelle est ce qui lui reste pour vivre quelques moments de paix. Mais ses craintes, ses certitudes, sont bousculées par l’arrivée de Djamil, jeune garçon sociable et sympathique qui l’aide dans un premier temps à transporter ses courses…
Le deuil, la dépendance liée à l’âge sont des thèmes forts de Quatuor qui décrit des tragédies silencieuses, des tsunamis personnels.
Ce qui est original dans Quatuor, c’est le temps et le contexte dans lesquels Anna Enquist situe le récit et qui donnent une tournure politique au roman. Elle invente un futur proche gangrené par la corruption. L’État-providence n’existe plus. Les personnes âgées sont livrées à elles-mêmes, et lorsqu’elles perdent leur autonomie, elles sont placées dans des mouroirs d’où aucune information ne filtre… Mais qui s’en inquiète vraiment ? La culture est aussi touchée par l’arrêt des subventions et est soumise à la seule loi du profit. La musique classique est particulièrement touchée : elle n’est plus ni soutenue financièrement ni enseignée aux jeunes. Elle est morte.
Anna Enquist s’inquiète de la fin de l’État-providence. Qu’adviendrait-il des personnes âgées si elles n’étaient plus prises en charge ? Qu’adviendrait-il de la musique si elle n’était plus subventionnée ? Mais elle relève avec justesse l’indifférence dont nous faisons preuve, trop préoccupés par nos égoïsmes pour nous soucier de solidarité. L’atmosphère de Quatuor, parce qu’elle ressemble étrangement à ce que l’on connaît, est troublante…
L’intrigue n’est pas la priorité des récits d’Anna Enquist, et ce n’est pas plus mal. Dans Quatuor, je l’ai d’ailleurs trouvée un peu trop artificielle. Et le dénouement m’a laissée sur ma faim… Heureusement, le récit est centré sur les personnages et leurs drames personnels que l’auteure décrit avec finesse et subtilité. Dans une écriture sobre, elle dresse des portraits d’une grande précision où les maux intimes sont racontés comme je l’ai rarement lu. Un beau roman.
Pour connaître les dates des rencontres avec Anna Enquist, le programme est ici.
Florence, 23/11/2016