Lauréat du Goncourt en 1973 pour L’ogre, l’écrivain Jacques Chessex est mort le 9 octobre 2009, foudroyé par une crise cardiaque, en pleine conférence. Le jour même, il mettait un point final aux corrections du manuscrit de son roman Le dernier crâne de M. de Sade.
A sa sortie en Suisse, l’ouvrage posthume est vendu sous cellophane, avec la mention « Réservé aux adultes » en raison de certains chapitres considérés comme pornographiques.
Ce roman crépusculaire raconte l’agonie du vieux marquis de Sade emprisonné à Charenton, un hospice d’aliénés. Du fringant jeune homme, il ne reste qu’un vieillard ventru, puant et éructant. Son corps semble pourrir sur place et ses moeurs, plus dépravées que jamais, fascinent et dégoûtent les visiteurs qui se succèdent dans sa cellule.
La lecture de ces pages écoeure tant le style est cru et incisif, mais Chessex insiste et avertit : « C’est là le tableau de scènes que nous faisons là, dans l’espoir que ce spectacle agira sur la conscience de nos lecteurs comme un épouvantail hideux, et décidément dissuasif« . La mort, le salut de l’âme et les tourments de la chair qui hantent toute l’oeuvre de Chessex trouvent ici leur expression ultime. Qui d’autre que Sade aurait pu les incarner ?
Dans la deuxième partie du livre, à mon goût la plus intéressante, Sade est enfin passé de vie à trépas, ce qui nous évite de nouvelles tirades sur le vomi, la bile et les crachats du divin marquis.
Chessex raconte la survie post mortem du crâne de Sade. Déterré de la fosse où il reposait, le crâne du marquis exerce autant de fascination que Sade de son vivant. « Oh le sourire de ce crâne, sa belle mâchoire aux fortes dents! Oh le volontaire temporal, les maxillaires et le front intacts, les larges orbites profondes, que le regard du génie habite encore dans l’ombre en creux ! »
Véritable objet de culte, la relique voyage : Allemagne, Angleterre, New York. D’époque en époque, « le crâne du marquis court » et exerce ses funestes pouvoirs : il sème la mort, brûle et rend fou.
Chessex lui-même croise la relique, écrit-il, au bord du lac Léman, en novembre 2009. Etrangement, à cette date, l’écrivain est mort…depuis moins d’un mois.
Comme une épitaphe, le roman de Jacques Chessex se termine par ces vers du poète Eichendorff:
Wie sind wir wandermüde
ist dies etwa der Tod ?
Comme nous sommes las d’errer! Serait-ce déjà la mort ?
Par Marisa