Autour de Flic Ou Caillera, garde à vue avec Rachid Santaki

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Les livres de Rachid Santaki se lisent comme on écoute du rap. Flic Ou Caillera nous entraîne, comme ses deux romans précédents, dans la banlieue, celle « qui craint », où planent la drogue, la violence et la peur.
Parce qu’ils décrivent les cités de Saint-Denis, avec leurs caïds sans gloire et leur langage hip-hop, les polars de Rachid Santaki font mouche a-t-on pu lire dans Le Monde.
Les romans de Santaki, on les aime… ou on ne les aime pas. Parce qu’il faut s’y plonger, adhérer à son langage imagé utilisant le verlan, l’argot manouche et l’arabe. Mais l’art du romancier n’est-il pas de créer une atmosphère qui nous entraîne dans des lieux inconnus ou lointains ? Pour nous, c’est un pari réussi.

Bonjour Rachid. Certaines d’entre nous t’avions rencontré lors de la remise du prix Lire en poche de Gradignan en octobre 2012 puisque tu faisais partie des trois finalistes avec ton roman noir intitulé Les anges s’habillent en caillera. A l’époque tu préparais la sortie de ton second roman et tu as déjà publié le troisième récemment. Tu n’arrêtes pas en fait ?!
Rachid Santaki : Je suis très actif. Je commence à me calmer mais si j’ai autant bossé c’est aussi par esprit de compétition. J’aime ou disons que je suis addict au taf. J’aime mon travail au point de ne pas m’arrêter, de toujours produire plus et je pense que l’écriture est comme un muscle : plus on le fait travailler et plus on produit. Je suis dans cette dynamique.

Peux- tu nous dire en quelques mots de quoi parle ton roman Flic Ou Caillera ?
L’opposition de deux personnages. Mehdi, jeune homme, balayé par le destin et Najet, fraîchement débarquée, à la recherche de son histoire en venant exercer le métier de flic à Saint Denis. C’est la rencontre de deux écorchés et leur principale opposition est que Mehdi veut fuir Saint Denis, tandis que Najet veut découvrir la ville et par là-même son histoire, son passé puisque son père était policier à Saint Denis.

Même si chacun de tes romans a sa propre histoire, certains personnages se retrouvent d’un roman à l’autre. Etait-ce prémédité ?
Oui, c’est volontaire. Comme le personnage principal est la ville de Saint Denis et que nous sommes dans le même milieu, c’est logique de retrouver ou croiser les personnages des autres romans. Ces personnages que tu retrouves ne font que franchir la passerelle entre Les Anges s’habillent en caillera, Des Chiffres et des Livres ou Flic ou Caillera. Que ce soit le terrifiant Said Bensama ou Yazid le graffiti artiste, présent dans les trois romans et qu’on voit différemment d’une histoire à l’autre. Dans le premier il est exécrable. Dans le second, moins. Et dans Flic Ou Caillera plus sympathique. Je montre ainsi qu’on peut avoir un même personnage mais qu’il n’est pas le même selon l’angle.

Tes romans s’inscrivent toujours dans l’actualité. Ton second sortait alors qu’éclatait l’affaire des flics ripoux à Marseille. Flic Ou caillera démarre sur le drame de ces deux jeunes électrocutés par un transformateur en octobre 2005 à Clichy-Sous-Bois. L’actualité te nourrit ?
Je mate beaucoup l’actualité et c’est aussi un repère temporel. Je ne sais pas d’où cela vient mais l’actualité m’intéresse. J’aime beaucoup observer, lier et analyser. Je suis curieux et ce qui me fascine le plus c’est la politique, pas la vie de la cité, mais celle de ces gens communiquant et qui finalement marquent notre temps. Leurs parcours, leurs rapports avec la réalité et leur environnement. Ce qui est drôle aussi c’est comment chacun de nous traite ou vit l’actualité. L’actualité est quelque chose de fédérateur. Pour revenir sur le décès de Zyed et Bouna, c’est surtout que ce drame a quand même mis le feu à Clichy et dans plusieurs quartiers, que c’est aussi le sommet de cette campagne menée à l’époque par Nicolas Sarkozy sur l’insécurité et les quartiers.

Une femme flic a un rôle très important dans Flic Ou Caillera. Sans dévoiler l’histoire, on peut dire qu’elle fait le lien entre ces deux mondes, la police et les voyous. A travers elle, avais-tu un message à faire passer ?
Non. Pas de message. Najet est atypique car c’est un « bonhomme ». Elle a tout pour ne pas aller à Saint Denis et elle va chercher à comprendre, fouiller et ce que je voulais juste montrer c’est qu’elle cherche un sens à sa vie, qu’elle le cherche au point d’aller retrouver le spectre de sa mère à travers Claudia, toxicomane morte d’une overdose. Je n’ai pas de message dans la mesure où chacun de nous aura sa vision et je veux juste camper des personnages. Najet est un personnage que j’aime beaucoup et que j’aurai l’occasion de développer dans d’autres volets.

Tu es plutôt flic ou caillera ? Et quels sont tes rapports avec la police de Saint Denis ?
C’est drôle car on a souvent commenté le titre comme si c’était « Faites votre choix ». Mais c’est plutôt un clin d’œil à Lautner, Belmondo, Audiard avec le film Flic ou Voyou. Pour revenir aux deux appellations péjoratives « Flic ou caillera »,  ce n’est pas vraiment un statut. Ça ne veut rien dire. Et si je devais faire un choix pour ne pas esquiver ta question, je dirais que la marge m’intéresse plus mais ces deux métiers sont aussi en marge. Depuis que j’écris des romans j’ai au l’occasion de rencontrer des policiers, de comprendre ce métier et les dérives de certains fonctionnaires. Quand tu dis à un policier quel est son rôle, il pourra te répondre qu’au lieu de défendre le citoyen, il doit défendre son collègue. Aujourd’hui la police peut être une bande contre une autre bande, et celle qui a l’insigne est celle qui a plus de légitimité. Donc je te répondrais que je suis à la fois flic et caillera.

En quoi tes romans contribuent-ils au travail de mémoire des quartiers (selon Mohamed Mechmache, président d’AC.LEFEU) ?
Ce sont des romans noirs, des polars, de la fiction avec du réalisme et je tiens à le rappeler même si certains faits sont réels et je pense qu’en terme de langage, de codes, de mode c’est une contribution à cette culture. Je pense à ces paroles de Kool Shen du groupe NTM dans le titre Tout N’est pas Si Facile : « On venait tous du même quartier, on avait tous la même culture de cité. » C’est cette culture de cité que j’essaie de faire ressortir dans mes bouquins et qui sont l’âme de ces quartiers.

Pour conclure, on dit que l’imitation précède la création. Je n’ai pas l’impression que cela s’applique à toi : tu as un style à toi qu’on ne trouve pas chez les autres auteurs de polars. Mais quels sont les auteurs qui t’ont donné envie d’écrire ? Et d’ailleurs, qu’est ce qui t’a donné envie d’écrire ?
C’est un peu chelou mais je n’ai pas de darons dans l’écriture. Ce qui m’a donné envie d’écrire ce sont des anciens collègues comme Grégory Protche avec une rubrique qui s’appelait C’était Mieux avant pour laquelle j’ai fait mes premiers articles, ce qui m’a permis d’échanger avec mes lecteurs. Je kiffais revivre le passé avec l’écriture et fédérer. C’est de là que part cette aventure. J’ai pris l’écriture comme un moyen d’expression comme le graffiti, la musique.

Propos recueillis par Isabelle G.

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