Suffit-il d’observer pour connaître ?

Tibi la Blanche d’Hadrien Bels

C’est dans un camp naturiste que j’ai lu Tibi la Blanche. Là où aucun corps ne se ressemble, où chacun s’accepte tel qu’il est. Blanc, noir, grassouillet ou maigrichon. Dakar est bien loin de moi, et je ne suis jamais allée en Afrique. Je ne connais pas grand chose des coutumes et de la culture sénégalaise. Je découvre dans ce roman une nouvelle génération en questionnement sur son pays et un rapport à la France en mutation. Hadrien Bels est marseillais (ville qui était au cœur de son premier roman). Il a épousé une sénégalaise soninkée et c’est en vivant à Dakar avec sa belle-famille pendant le confinement, que ce roman Tibi la Blanche est né. Tibi, pour Tibilé, qui veut fuir Dakar et partir étudier en France après son bac. Hadrien Bels dit que c’est une résistante, elle est comme les français, elle se met en grève tout le temps !  Alors que Tibi est Soninkée, Issa est Peul. Pour lui seule compte la mode. Sa meilleure amie c’est sa machine à coudre qui lui permettra de devenir styliste. Il représente l’Afrique qui inspire le monde car Dakar est une ville en ébullition culturellement et artistiquement dans cette période post COVID. Et Neurone, comme son surnom l’indique, c’est l’intello de la bande. Il est amoureux de Tibi mais c’est un Diola. Plusieurs ethnies cohabitent ensemble dans le quartier où ils ont grandi mais les choses se compliquent dès que l’on parle de mariage.

Un Diola ne se marie pas avec une Soninkée. A la limite, un homme Soninké pourrait se marier avec une Diola. Et encore, entre deux ruelles bien sombres. Les traditions déteignent trop, dans la bassine du mariage. La communauté Soninkée est une armoire bien rangée : les nobles avec les nobles, les forgerons avec les forgerons, les esclaves avec les esclaves, les marabouts et les griots entre eux. Et c’est la cuisine des femmes de faire en sorte qu’il n’y ait pas de mélange. Elles s’occupent de marier leurs filles ou de choisir pour leur garçon. Un plan pour chacun. S’il y a de l’amour tant mieux s’il n’y en a pas, on dit que « l’amour vient après.

De nombreuses digressions viennent enrichir l’histoire de ces trois jeunes sénégalais et rendre plus grave la légèreté de leur quotidien. La référence au Joola : ce ferry qui en 2002, partant de Dakar, a fait naufrage en faisant 2000 victimes alors que le bateau était conçu pour transporter 536 personnes. Hadrien Bels parle également des tirailleurs sénégalais qui furent tués dans la banlieue de Dakar, à Thiaroye (quartier où ont grandi les personnages du roman mais également où vit la belle-famille de l’auteur) pendant la seconde guerre mondiale, simplement parce qu’ils avaient demandé leur solde.
L’un des personnages met en lumière la révolte contre le système, contre la France qui trouve des intérêts économiques au Sénégal. L’auteur montre également l’attachement d’une population à sa culture.
C’est un roman d’observation d’un occidental qui écrit sur l’Afrique. Hadrien Bels dit qu’il faut trouver la bonne distance pour le faire. Nous avions déjà parlé d‘appropriation culturelle lors d’une rencontre avec Abel Quentin l’année dernière.

Ce roman à la fois drôle et touchant apporte un éclairage avisé sur l’Afrique du XXIème siècle. Hadrien Bels, avec ce roman, fait partie des trois finalistes du prix de littérature française 2024 du salon Lire en Poche de Gradignan.

Babeth, septembre 2024

Tibi la Blanche, Hadrien Bels, éditions de l’Iconoclaste et collection Proche, août 2023

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