Dans le cœur d’Ilya Ilyassov, le vendeur de poisson tatare, deux êtres cohabitent : Aïza la belle Tatare, et un silure, immense poisson de rivière que le vieil homme abrite dans un aquarium sous son comptoir, au magasin collectif. Mais son amoureuse s’est noyée il y a 50 ans, et son ami aquatique vient d’être tué par un collègue alcoolique. Ce meurtre imbécile sera le déclencheur d’une première métamorphose d’Ilya en poisson, qui sera suivie de nombreuses autres.

Au centre de ce récit à la folie salutaire, l’Amour. Un amour qui ne veut rien céder à la mort et qui dans son désir fou d’exister, entraîne réincarnations et multiples enfantements.
Ancré dans la Russie d’aujourd’hui, rude pour les hommes et brutale avec son environnement, sur fond de bâtiments tristes, de dépotoirs et d’étangs où l’on espère encore trouver de la vie, ce roman s’inscrit dans la tradition du réalisme fantastique. On y découvre des humains englués dans une société aux règles et habitudes délétères. L’auteur, Dmitri Lipskerov, n’épargne ni les médecins, ni les policiers, ni les journalistes, ni aucun de ceux qui obéissent sans mettre la distance nécessaire entre les ordres qu’on leur donne et leurs propres actes. Dans Le Dernier Rêve de la raison, la nature semble se venger de tant de bêtise et de soumission en provoquant des événements tour à tour merveilleux et cauchemardesques, mais toujours surprenants pour le lecteur.
«Aïza caressait le gros poisson de sa petite queue rose, effleurait ses lèvres épaisses de silure. Il envoyait alors des bulles sur la surface et, ivre de bonheur, se croyait au septième ciel. « De la nourriture, tu parles, pensait le Tatare. L’Homme ne vit pas que de pain. L’homme vit du tendre frôlement de la queue d’un poisson, de l’attente de la naissance de ses enfants, d’amour. Et pour ce qui est de la bouillie, il y en aura toujours de la bouillie !»
On rit beaucoup, c’est malin, c’est subtil et très fort. Dmitri Lipskerov réussit parfaitement ce cocktail de cocasserie et de vérité humaine, cette alliance de noirceur et de beauté, de trivialité et d’envolées poétiques, que la traduction française de Raphaëlle Pache rend parfaitement. Un régal.
Isabelle, le 26 juillet 2021
Le Dernier Rêve de la raison, Dmitri Lipskerov, Agullon fiction, 2008
Merci pour la découverte 🙂 j’adore le mood.
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Well done Isa !
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