Ces morts heureux et héroïques

Jeanne roule à travers l’Idaho en portant une attention particulière aux détails. Elle roule toute la nuit jusqu’au petit matin pour atteindre la prison d’Etat dans laquelle son fils Rob est détenu. Si elle accorde une telle importance aux détails, c’est qu’elle les transforme en anecdotes qu’elle peut raconter à son fils, pensant le distraire.

Ainsi débute Visites, l’une des dix nouvelles du recueil Ces morts heureux et héroïques écrit par Luke Mogelson. Visites raconte l’histoire de Jeanne et de ce fils qu’elle ne comprend plus. Ce qu’elle comprend encore moins, c’est cette foutue guerre à laquelle il a participé et qui l’a considérablement métamorphosé.

Ces morts heureux et héroïques dresse un état des lieux complet de ce que vivent les hommes de retour du front et parle au fond d’humanité. Car les morts heureux et héroïques ne sont évidemment ni morts ni heureux, ni même héroïques : ce sont des survivants éteints, profondément meurtris, vraiment malheureux et terriblement isolés.

Il y a de très belles nouvelles dans ce recueil. Visites, bien sûr, mais aussi Un cri humain qui montre la détresse d’un homme et l’acte irréparable qu’elle engendre. Le récit avance subtilement, jusqu’à donner au lecteur une vision d’ensemble du personnage et des faits. Une autre très belle nouvelle, Du bar, décrit un homme du point de vue de son jeune fils. Toutes explorent les coûts humains imprévus engendrés par la guerre d’Afghanistan, avec empathie et élégance.

Si les histoires de Nouvelles directives, d’Un pays magnifique et d’Eclipse solaire totale se déroulent en Afghanistan pendant le déploiement des hommes, toutes les autres décrivent les tourments de ceux revenus à la vie civile américaine sans soutien psychologique. La violence vécue pendant la guerre résonne en écho dans la vie de ces hommes, les isolant un peu plus chaque jour dans cette existence qu’ils ne comprennent plus.

Les récits sont rythmés par les changements de perspective, l’auteur donnant le rôle de protagoniste parfois à une mère, parfois à un enfant, à un vétéran ou encore à un traducteur afghan. Ce procédé, auquel s’ajoute l’importance donnée aux détails, permet de dresser une vue d’ensemble sur les conséquences destructrices de la guerre sur les hommes.

Luke Mogelson tisse d’habiles liens entre les nouvelles. Les vétérans revenus au pays, racontés dans Cap au lac et Visites sont également présents dans Gamins, pendant leur déploiement; un jeune soldat édenté de Nouvelles directives devient le protagoniste d’Un cri humain. Mais il n’est pas nécessaire de remarquer ces détails pour apprécier ce recueil. Il faut juste avoir un peu d’imagination pour trouver la chute de certaines nouvelles pour lesquelles l’auteur n’a pas voulu écrire de fin.

Florence, 16 mai 2018

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