Les liseurs de Daraya

 

C’est une photo qui est à l’origine de l’écriture des Passeurs de livres de Daraya. Une photo qui interroge Delphine Minoui, grand reporter spécialiste du Moyen-Orient. C’est une quête qui commence alors pour elle. Elle veut savoir, elle veut comprendre. Utilisant les réseaux de communication modernes, elle retrouve la trace des personnes photographiées, ces jeunes Syriens entourés de livres qui bouquinent alors qu’une pluie de bombes détruit tous les jours leur cité.
Dès 2011, Bachar-al-Assad fait croire aux Occidentaux qu’il est le seul rempart contre Daech et que Daraya est un nid de terroristes qu’il faut éliminer. Or, l’armée syrienne libre est apparue dans le seul but d’obtenir le respect des droits de l’homme. Ces jeunes gens d’une vingtaine d’année se sont révoltés contre les injustices dans leur pays. Leurs actions se veulent non-violentes et on les a fait passer pour des djihadistes pour cautionner ces bombardements. Alors pour survivre et s’éduquer, ils décident de construire une bibliothèque souterraine et clandestine, ouverte à tous. Ils récupèrent dans les logements détruits et abandonnés des ouvrages de toutes sortes, en prenant soin d’inscrire sur la première page le nom du propriétaire, espérant qu’un jour les livres leur reviendront.

« Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leur arme d’instruction massive ».

Ce sera un lieu d’échanges qui va les rapprocher. La plupart n’aimaient pas lire auparavant, mais ils découvrent avec cette bibliothèque secrète le pouvoir de la lecture.

« Les livres nous ont sauvés. C’est notre meilleur bouclier contre l’obscurantisme ».

A travers ce récit, Delphine Minoui nous fait partager le drame de ces habitants pris au piège d’une guerre qu’ils n’ont pas voulue. Par son empathie, elle vit avec eux et nous fait vivre le drame de leur situation. On pourrait presque les entendre se parler. On imagine les photos prises au risque de leur vie pour témoigner de la cruauté syrienne. Chaque nouvel épisode nous fait frémir d’inquiétude. Et malgré la terreur qui règne, je suis admirative de leur joie de vivre. Même lorsqu’en 2016 des centaines de bus viennent les évacuer presque morts de faim, l’un d’entre eux se sent grandi de cette tragédie. Cette bibliothèque les a aidés à tenir le coup.

« Si les livres ne peuvent soigner les plaies, ils ont le pouvoir d’apaiser les blessures de la tête. Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit. »

Ahmad, Abou-El-Ezz, Shadi, Omar Abou Anas, Hussam Ayash : en écrivant les noms de ces bibliothécaires d’un temps, je souhaite prendre le relais de Delphine Minoui pour continuer la chaîne de vérité contre la dictature.

Les passeurs de livres de Daraya. Une bibliothèque secrète en Syrie, de Delphine Minoui

Babeth, 15 septembre 2019

Le fer et le feu de Brian Van Reet

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La tragédie du 11 septembre a poussé de nombreux jeunes Américains à s’engager dans l’armée, traumatisés par ce que venait de vivre leur pays, ressentant l’urgence d’agir pour défendre les Etats-Unis et l’Occident.
Parmi eux figurait Brian Van Reet, 20 ans, originaire de Houston. Il s’engage en novembre 2001 et part se battre en Irak. Il y restera quatre ans.

« Je n’avais jamais vraiment songé à rejoindre l’armée en temps de paix, mais j’ai été assez fou pour le faire quand la guerre a éclaté. Ce n’était pas tant pour venger les attentats que par inconscience. C’était une sorte d’acte autodestructeur, je voulais voir le côté sombre de la nature humaine, sentir la mort de près. Je viens d’une famille de militaires : mes deux grands-parents paternels étaient dans l’armée. »

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Ces morts heureux et héroïques

Jeanne roule à travers l’Idaho en portant une attention particulière aux détails. Elle roule toute la nuit jusqu’au petit matin pour atteindre la prison d’Etat dans laquelle son fils Rob est détenu. Si elle accorde une telle importance aux détails, c’est qu’elle les transforme en anecdotes qu’elle peut raconter à son fils, pensant le distraire.

Ainsi débute Visites, l’une des dix nouvelles du recueil Ces morts heureux et héroïques écrit par Luke Mogelson. Visites raconte l’histoire de Jeanne et de ce fils qu’elle ne comprend plus. Ce qu’elle comprend encore moins, c’est cette foutue guerre à laquelle il a participé et qui l’a considérablement métamorphosé.Lire la suite »

Rencontre avec Phil Klay

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Florence et Phil Klay, 27 novembre 2015 ©Liseuses de Bordeaux

Dans le cadre du festival Lettres du monde, nous avons interviewé Phil Klay à la médiathèque de Saint-Médard-en-Jalles. Un moment inoubliable avec un écrivain éminemment sympathique qui nous parle de son livre puissant Fin de mission. Extraits.

Fin de mission est un recueil de nouvelles. Pourquoi avoir choisi ce genre ?
Phil Klay :
Il y a plusieurs raisons. La première est qu’on a souvent une vision trop étroite de ce qu’est un soldat. Quand on pense à la Première Guerre mondiale, on pense à la guerre de tranchée, quand on pense à la guerre du Vietnam, on pense aux patrouilles dans la jungle, et on rattache ainsi chaque guerre à une image. Mais la guerre moderne est beaucoup plus complexe. Il y a une énorme organisation que je voulais montrer à travers toute une gamme de métiers : un aumônier, un soldat chargé des affaires mortuaires, un artilleur, etc. Cela m’a permis d’étudier une même question sous des angles différents.
Finalement, il y a une sorte de tradition dans les écrits sur la guerre, qui consiste à considérer ce que dit le vétéran pour vérité. J’ai un problème avec cette tradition; c’est pourquoi j’ai voulu qu’il y ait douze narrateurs, qui ne sont pas tous d’accord avec ce qu’est la guerre ou la politique. J’ai pensé que ça laisserait un espace pour que les lecteurs s’identifient ou non avec un personnage.Lire la suite »