Je viens de terminer Nos années sauvages de Karen Joy Fowler quelques heures après l’avoir commencé. Drôle et dramatique à la fois, sérieux et optimiste, c’est le roman à lire cet été.
Rosemary Cooke a vingt-deux ans, elle est étudiante en Californie. Au cours d’une soirée (un peu nunuche, soirée étudiante oblige) entre étudiantes où chacune raconte sa famille, Rosemary est incapable de dire quoi que ce soit. De toute façon, elle préfère ne rien dire. Pourtant elle a un père, une mère, un frère et une sœur. Ce que Rosemary ne veut pas ébruiter, c’est la disparition de sa sœur alors qu’elle n’avait que cinq ans; ce qu’elle ne veut pas dire, pour ne pas être jugée, c’est que sa famille s’est éteinte et décomposée. Nos années sauvages, c’est l’histoire de la famille Cooke racontée par Rosemary, petit à petit, morceau par morceau, dans un récit enjoué, drôle parfois.
L’histoire commence quand Rosemary a cinq ans. Elle est une vraie pipelette. La famille Cooke est peu conventionnelle mais la réussite du père l’autorise. La mère est bienveillante, le frère Lowell heureux. La sœur Fern est joyeuse et a une relation fusionnelle avec Rosemary d’à peine un an sa cadette. Tout va bien jusqu’au jour où Fern disparaît. Alors, la famille bascule : la mère sombre dans une profonde dépression, le père se met à boire, Lowell devient agressif. La réussite professionnelle du père s’étiole; Lowell finit par s’enfuir. Et Rosemary, qui était si bavarde, apprend à se taire.
Je n’en dirai pas plus sur la sœur dont l’identité ne nous est révélée que vers la centième page. Car si Karen Joy Fowler fait durer le suspense, c’est pour mieux insister sur cette sœur, sa place au sein de la famille et le drame qu’a constitué sa disparition. Karen Joy Fowler excelle à commencer chaque histoire par le milieu. Elle maîtrise les allers retours, entre présent et passé, entre les vies des personnages. Elle tient habilement le lecteur en haleine.
Nos années sauvages n’est pas seulement un roman sur la perte et la culpabilité, c’est un roman sur le langage. Ceux qui parlent et ceux qui ne parlent pas. Ceux qui sont entendus et ceux qui ne le sont pas. C’est aussi un roman sur la différence.
J’appris que si on était différent, on était différent. Je pouvais changer ce que je faisais et je pouvais changer ce que je ne faisais pas. Mais rien ne changeait l’être que j’étais fondamentalement.
Il nous interroge sur ce que nous sommes, sur ce qui fait notre humanité. L’amitié entre Rosemary alors à l’université en Californie et Harlow est significative sur ce point : Rosemary s’attache à Harlow car elle a les mêmes traits comportementaux que Fern, la sœur disparue plus de quinze ans plus tôt.
Karen Joy Fowler traite avec subtilité et optimisme d’un sujet dramatique; c’est la raison pour laquelle je vous conseille ce roman.
Florence, 8 août 2016