Lire En Poche Gradignan ou la petite fabrique d’un salon du livre

Lire En Poche 2015, c’est bientôt !

L’occasion pour Babeth de rencontrer les organisateurs de cet événement…

affiche-lire-en-poche-2015-liseuses-de-bordeauxComme nous toutes, vous allez courir dans l’herbe fraîchement coupée pour venir écouter les nombreux auteurs invités au salon Lire En Poche de Gradignan. Alors je me suis dit que ça vous intéresserait de savoir comment un tel salon se met en place. Sachez que cette grosse machine, ce bulldozer du « Book in the pocket saloon » est le résultat du travail essentiel de trois personnes : Lionel Destremau, Zineb Kairouani et Marie-Thérèse Colombani. Mais pas que …Une stagiaire rejoint l’équipe dans les derniers mois avant le salon mais il faut compter avec d’autres personnes liées de près ou de loin à l’organisation du salon : les personnels de la ville, certains élus, puis les étudiants de l’IUT Métiers du livre pendant la manifestation, d’autres bénévoles, et puis tous ceux qui interviendront dans la programmation (les modérateurs des rencontres, les interprètes). Au final, c’est plus d’une centaine de personnes qui participent au déroulement du salon.

Lionel-DestremeauLionel Destremau s’occupe principalement de la programmation globale, la coordination, l’orientation, les relations avec les éditeurs. A cela s’ajoute, la représentation du salon à l’intérieur (auprès du Maire, du conseil municipal) et à l’extérieur (auprès des instances publiques, Etat, Région, des partenaires, d’autres salons, etc.), l’initiation d’échanges et de partenariats avec d’autres manifestations ou structures, la gestion financière du salon.

Zineb-KerouaniZineb Kairouani est en charge de la littérature adulte. Dans une même journée elle peut aussi bien se plonger dans la mise en page du programme, prendre les billets de train, d’avion, des auteurs invités, ainsi que leurs hôtels, réaliser le planning des bénévoles. Zineb peut rédiger une chronique pour France Bleu Gironde ou mettre en place les animations théâtrales, musicales, ce qui va de la prise de contact avec les artistes, à la commande de l’accordeur pour le piano qui servira à la soirée d’ouverture.

Marie-Therese-ColombaniMarie-Thérèse Colombani est responsable de projets littérature jeunesse. Elle travaille en lien avec les maisons d’édition avec lesquelles elle est en contact tous les ans à l’occasion du salon jeunesse de Montreuil ce qui lui permet de rencontrer également des auteurs.

Après les présentations, rentrons dans le vif du sujet…

Combien de temps vous demande la préparation de ce salon ?

Lionel Destremeau : A peine l’édition du salon d’octobre terminée, et en en préparant le bilan, nous commençons à préparer la suivante. En général, nous déterminons le thème de l’année suivante dès juillet, ce qui nous permet de poser quelques premiers jalons avant-même que l’édition en cours se soit déroulée. Il faut compter une année de préparation donc, sachant que durant cette année il y a aussi une animation régulière à mettre en place, à raison d’une ou deux actions par mois, soit situées sur la commune, soit hors les murs dans le cadre notamment de partenariats avec d’autres manifestations (au printemps le Marché de la Poésie de Bordeaux, l’Escale du Livre, le Salon du Livre Jeunesse du Bouscat, à la rentrée des échanges et participations aux salons Polar en cabanes et Un Aller-Retour dans le Noir à Pau, puis le Festival Lettres du monde en novembre) ou d’autres structures (comme la journée d’étude autour des sciences humaines qui désormais se déroule début novembre à Sciences Po, ou encore dans des librairies).

Zineb Kairouani : Un an. Même si on anticipe plus encore les réflexions sur le thème et les invitations de certains auteurs – le parrain, ou ceux qui sont très sollicités.

Marie-Thérèse Colombani : Un an en effet, sans oublier aussi toutes les animations qui se font à l’année. Pour la jeunesse, il y a les ateliers de printemps (rencontre auteurs/illustrateurs locaux dans les classes élémentaires et collèges), la préparation des poches voyageurs, la participation de Lire En Poche à la fête Sport et Nature où après avoir répondu à quatre énigmes, les enfants peuvent participer à une pêche à la ligne où les objets à pêcher sont des livres, la mise en place de la sélection pour le prix Lire En Poche littérature jeunesse, la mise en place du concours de nouvelles au Lycée des Graves…

Quel est le moment que vous préférez dans Lire En poche ?

L.D. Cela pourra sembler bizarre peut-être, mais sans doute que ce sont les moments durant le week-end où j’ai un peu de temps pour accueillir les auteurs et les intervenants sur la rampe d’accès du théâtre quand ils arrivent à Lire En Poche. D’abord parce que, comme quand on ouvre la porte de chez soi pour accueillir des amis qui viennent dîner par exemple, je suis content de les voir « en chair et en os », après avoir passé une année, soit sans les avoir croisé (le plus souvent quand il s’agit d’invités déjà venus), soit en les considérant comme des noms lus et relus dans les multiples versions de la programmation au fil des mois. Ensuite parce que cela signifie qu’ils sont bien présents, qu’ils vont donc rencontrer le public, discuter de leurs livres, ou lire, ou produire leur spectacle, passer un moment avec les autres invités et les personnels de l’organisation, bref parce que cela rend concret le salon, lequel « prend corps » avec les invités. Ce qui n’a été pendant un an qu’un « programme », et donc qu’une idée organisée sur le papier, devient réalité.

Z.K. Quand les gens viennent !!! Le public, pour qui nous faisons tout ça, les auteurs et intervenants, ceux que nous invitons, que nous voyons si peu finalement, en comparaison du temps passé à la préparation. Ce tourbillon qui dure trois jours, et que nous prolongeons par les Rendez-vous à l’année, par le Mag (webzine de Lire En Poche, en ligne entre novembre et début août), la page Facebook, qui toute l’année perpétuent et prolongent le point d’orgue que représente le salon.

M.-T.C. La fin du salon où je me dis effectivement, tout s’est bien passé, mais c’est aussi un moment de nostalgie où l’on se dit, ça y est c’est fini !!!! Un an de préparation pour trois jours qui passent si vite !

Quel est le moment que vous détestez le plus ?

L.D. Détester est un mot un peu fort. Mais disons, comme tout le monde sans doute : les mauvaises surprises ! Cela peut prendre plusieurs formes, des soucis techniques, des annulations de dernière minute plus ou moins importantes, un gros couac dans l’organisation pour x raisons, voire une tempête de pluie… ! Bref, tout ce qui peut enrayer la machine mise en place et risque de nuire à la qualité de la manifestation, à l’attente des publics ou à l’accueil des invités.
Ensuite, mais c’est secondaire, parce que cela ne me concerne que personnellement, j’appréhende le discours d’ouverture, n’étant pas franchement à l’aise dans l’exercice d’une part, et d’autre part, tout en me pliant à cette contrainte qui fait partie du jeu disons, puisque ma fonction implique cette représentation du salon, estimant toujours un peu étrange d’être devant du public alors que notre travail est d’organiser, de faire fonctionner cette machine « salon », plus que d’être « dans la lumière ». Cette lumière se doit d’être portée avant tout sur les invités, les créateurs, les intervenants.

Z.K. Les versions « en négatif du salon », qui, à l’approche de la manifestation, surgissent la nuit dans les mauvais rêves. Là ce sont tous les loupés possibles et imaginables qui défilent !
Et ces moments de la réalité qui y ressemblent, comme par exemple ce jeudi après-midi où nous avons appris qu’Olivier Adam, pour raisons de santé, ne viendrait pas : il était parrain de l’édition et c’est lui qui devait assurer la lecture musicale de la soirée d’ouverture, le lendemain…

M.-T.C. Le vendredi, journée des rencontres scolaires, en même temps c’est une superbe journée de rencontres auteurs/enfants, mais aussi la journée la plus stressante et la plus fatigante pour moi.

Sur quels critères invite-t-on un auteur ?

L.D. Ce serait étonnant de positionner un curseur spécifique ou de s’astreindre à des critères particuliers pour inviter un auteur. Nous devons croiser plusieurs contraintes. D’une part être représentatifs de l’édition poche et donc des différentes collections, et dans chaque collection, au moins les plus importantes, inviter des auteurs en essayant de conserver un minimum d’équilibre (par exemple, nous ne pourrions envisager que 50% des invités soient publiés dans une même collection). Nous nous fixons donc une limite en nombre d’invités, par maison d’édition/collection, qui sont représentées par des libraires différents sur le salon.
Ensuite, le programme doit être varié autant que possible, entre des auteurs français, étrangers, de littérature générale, de littérature de genre, de jeunesse, de manga, etc… mais aussi de reconnaissance ou d’importance.
L’idée n’est pas de défendre un type de littérature, encore moins de faire des choix qui indiqueraient ce qui est LA littérature (et a contrario ce qui n’en serait pas !), mais bien plutôt que les visiteurs, les lecteurs, puissent trouver à Lire En Poche des auteurs qu’ils attendent, d’autres qu’ils découvrent, des genres littéraires qu’ils apprécient comme d’autres qu’ils n’aiment pas forcément, bref, non pas de « plaire à tout le monde », mais de présenter des écritures, des modalités d’œuvres, qui sont aussi diverses qu’il y a d’auteurs. On essaie ainsi d’inviter un plateau d’auteurs chaque année qui va mêler des jeunes romanciers, des auteurs jeunesse encore débutants pour certains, à des plumes plus confirmées ou des auteurs très connus du public.
Enfin, on essaie aussi de tenir compte de l’actualité des invités, en parcourant les programmes de parutions des éditeurs, en s’informant auprès d’eux. D’autre part, la thématique structurant le salon oriente aussi certains choix. Et reste encore à tenir compte de certaines demandes d’auteurs eux-mêmes ou d’éditeurs, auxquelles nous essayons de répondre, sans pour autant les accepter toutes.

Z.K. Le premier critère est qu’il soit publié à compte d’éditeur, en poche. Il faut aussi un lien avec la thématique de l’année. Ensuite, on tente d’équilibrer la répartition des auteurs par stand de libraire, c’est-à-dire suivant les éditeurs où ils sont publiés.
On vise aussi l’équilibre, par stand, entre les « locomotives », ceux dont on sait qu’il y aura la queue devant leur stand, et des auteurs moins médiatiques, des primo-romanciers, des jeunes auteurs. Comme dans l’édition : les uns vont porter les autres, permettront leur présence et celle du public.
Enfin, il faut savoir qu’on évite d’inviter des auteurs pour les condamner à une seule présence derrière leur pile de livres à signer : chacun participe à une rencontre d’auteurs. Donc une fois qu’on a un premier lot de confirmations, on fait les tables et on tente autant que faire se peut de n’ajouter que des écrivains qui vont pouvoir s’associer aux premiers sur les tables qui commencent à être constituées. Sachant qu’on a un temps, un espace et un budget qui ne sont pas extensibles !

M.-T.C. La sélection se fait en lien avec la thématique de l’année, sur l’intérêt et la qualité de ses livres, sur propositions des éditeurs en fonction de l’actualité de l’auteur, et parfois aussi en fonction de son capital sympathie !

Comment choisissez-vous le thème de l’année ? 

L.D. D’abord nous tenons compte des thèmes précédents (pour éviter de se redire d’une année sur l’autre) et cherchons une thématique différente autant que possible. Ensuite, il faut conserver à l’esprit que le thème doit être assez large pour pouvoir toucher tous les genres littéraires présentés et être interprété dans plusieurs registres. Choisir un thème trop restreint, trop circonscrit à un sujet bien précis, ne permettrait pas d’ouvrir le champ des questionnements possibles et d’y intégrer des ouvrages et des auteurs d’horizons très divers. Je propose une liste de thématiques envisageables au maire de Gradignan, Lire En Poche n’étant pas une association indépendante, mais une manifestation organisée par la municipalité, ne l’oublions pas. Nous échangeons sur tel ou tel sujet, nous en écartons d’autres ou les renvoyons à une future édition, et nous arrêtons notre choix courant juillet pour le thème de l’année suivante.
Enfin, si le thème structure une bonne partie de la programmation, et donne donc une ossature générale à la programmation, il n’est pas le seul élément d’orientation (comme déjà dit, l’actualité des auteurs, mais aussi des maisons d’édition, de l’anniversaire de telle ou telle collection, ou des choix du parrain ou de la marraine de chaque année impactent aussi la programmation)

Le festival a-t-il ses chouchous ?

L.D. Il y a des auteurs qui sont venus à plusieurs reprises, pas forcément d’une année sur l’autre, mais au fil des dix premières éditions. Ce qui est assez normal étant donné qu’ils continuent de publier des livres régulièrement ! Reste que les auteurs ne sont pas invités sur des goûts personnels de l’équipe du salon, ou en proximité amicale avec tel ou tel. Il est important que le salon ne produise pas une programmation identique chaque année, au risque de se répéter. Que donc Lire En Poche puisse se renouveler et ouvrir à de nouvelles découvertes. Pour 2015 par exemple, environ 70% des auteurs invités viendront pour la première fois. Ce sera peut-être une fois unique, ou bien ils reviendront à une future édition, impossible d’anticiper à l’avance. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait des « chouchous » en particulier. Il y a des auteurs qui apprécient le salon et sont ravis d’être réinvités, certains nous contactent eux-mêmes pour revenir l’année suivante. Certains sont aussi très attendus ou demandés, par exemple en jeunesse par des écoles qui les ont accueillis avec un grand bonheur dans leurs classes.

M.-T.C. J’avoue que oui, même si tous les ans de nouveaux auteurs sont présents. Par exemple, cette année, sur 37 auteurs invités spécifiquement pour la jeunesse, 15 sont déjà venus (c’est + ou – les mêmes proportions chaque année). Et puis il y a les auteurs que j’invite régulièrement car ils sont très demandés et je sais qu’ils sont très efficaces et feront le « plein » aussi bien dans les rencontres scolaires que pour les dédicaces.

Quels sont les retours des écrivains sur ce salon ?

L.D. De manière générale, les retours sont très positifs. Il est rare (cela peut arriver évidemment) que cela se passe mal sur le salon. Si parfois il y a un petit couac dans l’organisation, ou des auteurs qui arrivent épuisés par un voyage plus long que prévu pour un problème de transport quelconque, tout rentre assez vite dans l’ordre. Chaque année nous compilons les très nombreux messages de remerciements reçus après l’édition du salon, soulignant l’agréable moment passé à Lire En Poche. D’ailleurs, si les retours étaient trop négatifs, d’une part nous n’aurions pas des auteurs ravis de revenir, ou qui recommandent le salon à d’autres auteurs, mais d’autre part nous perdrions la confiance des éditeurs avec qui nous travaillons. Reste qu’il faut aussi relativiser. Lire En Poche est UN salon parmi quelques centaines en France chaque année… Il y a d’autres très belles manifestations, ne serait-ce, à proximité immédiate, que l’Escale du Livre de Bordeaux au printemps.

M.-T.C. En majeure partie, les retours sont très positifs. Il n’y a qu’à lire le livre d’or, signé chaque année par la plupart de nos invités, auteurs, éditeurs et autres…. ainsi que tous les mails de remerciement que nous recevons après le salon.
Je ne suis pas forcément au courant des collaborations qui peuvent naître entre auteurs, mais je sais que souvent de belles amitiés se créent entre eux, ce qui, à plus ou moins long terme, peut déboucher sur une collaboration.

cecile-chartres-liseuses-de-bordeauxCécile Chartre, auteur jeunesse invitée en 2014 nous donne son avis sur Lire En Poche

C’est un salon qui aime les livres, mais aussi les auteurs, vraiment. Aussi bien en littérature générale qu’en jeunesse. Dans certains salons, je sens que les auteurs ne sont que des « faire valoir ». Mais dans la pratique et en dehors des beaux discours, il n’y a rien. A Lire En Poche c’est très agréable de sentir ce côté humain. Faut pas oublier que nous sommes de grands sensibles !

alain-degans-liseuses-de-bordeauxAlain Degans, membre du jury Lire En Poche 2015 (Prix de littérature française) nous dit ce que lui a apporté le fait d’être juré

Pouvoir me confronter à des lectures diverses et variées que je ne serai pas allé chercher par moi-même. Écouter et débattre des choix, trouver le consensus lors de la délibération.
Chaque juré est confronté à sa propre représentation lors de la lecture et sa compréhension face aux autres d’où la richesse des échanges avant les votes.
Apprendre à parler devant les autres,
Prendre positions et défendre mes points de vues par rapport à la littérature
Je finirai par une citation de Georges Perros Échancrures, Calligrammes (1977) :

Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a une phrase écrite qui nous redonnera le goût de vivre.

Pour télécharger la version imprimable (texte seulement) de cet interview, c’est ici

Propos recueillis par Babeth, septembre 2015
Toutes les photos sont soumises au droit d’auteur

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