L’effacement de Pascale Dewambrechies

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L’effacement est le premier et très beau roman de Pascale Dewambrechies.

Que peut espérer Gilda Maurel, institutrice de trente-six ans dans un village de la France provinciale des années 50 ? Pas grand-chose. Pour beaucoup, elle n’est qu’une vieille fille. Elle-même ne se voit pas d’avenir dans cette société figée. Sa vie semble s’écouler lentement, suivant une voie déjà tracée. Sauf qu’elle va prendre un chemin de traverse inattendu avec le jeune et beau Luis. Trop jeune, trop beau. De leur passion naît un enfant, et Gilda de fuir un village trop petit pour une ville plus grande et plus anonyme, Bordeaux. Elle fuit pour se cacher plus que pour se libérer des servitudes qui enchaînent les femmes alors – la libération, ce sera pour après 1968.

Comment vit-on la honte d’être une mère célibataire dans les années 50 ? Comment accepte-t-on d’épouser un homme « bien comme il faut » pour sauver les meubles ? Gilda fait un choix :

Oublier. M’oublier. Me dissoudre dans une autre vie. Imposée. M’effacer.

C’est cet effacement que décrit merveilleusement bien Pascale Dewambrechies d’une écriture serrée et poétique qui donne une puissance mélancolique à « l’impossible envie de vivre de Gilda ». Le trouble de l’âme, de la naissance du désir à l’enfermement du chagrin est décrit avec une grande justesse.

Mon lit est vide. Je me caresse. Mes cheveux collent à mes tempes. Je le nomme d’un cri que l’oreiller étouffe. Si la jouissance est un plaisir, elle est une douleur quand elle naît du vide qu’elle étreint.

Nous sommes plusieurs Liseuses à avoir lu et aimé ce roman et vous le conseillons. Pour aller plus loin, lisez ci-dessous l’interview que nous a accordée Pascale Dewambrechies.

Pourquoi ce titre L’effacement ?

Pascale Dewambrechies C’est un titre qui est venu très tard. Pendant très longtemps, j’ai appelé ce roman Mademoiselle Gilda. C’est un roman que j’ai écrit en deux temps. Il y a eu une première version avec un narrateur omniscient, très narrative, très descriptive. Pour vous donner une idée, le roman faisait 250 pages à l’origine, alors que la version qui a été publiée en fait 100. Je décrivais tout. La présence de la tasse sur la table à côté d’un livre et une personne qui écrivait avec le stylo qui courait sur la feuille… J’ai envoyé cette première version à une dizaine d’éditeurs, qui l’ont tous retoquée dont une fois assez violemment. Cela a déclenché l’enfouissement du manuscrit dans un tiroir. Puis j’ai une amie, Chantal Detcherry, qui m’a soutenue et m’a conseillé de faire parler mon personnage à la première personne. Cela voulait dire tout recommencer. Alors j’ai repris le manuscrit, je l’ai posé sur mon bureau et j’ai écrit en commençant par « Je m’appelle Gilda Maurel… ». Je l’ai réécrit en deux mois.

Vous avez juste remis à la première personne ou est-ce que vous avez tout réécrit ?

J’ai synthétisé tout le premier manuscrit, page après page. Le télégramme qu’envoie Gilda, par exemple, faisait quatre pages dans la première version. Finalement, je n’ai gardé que le télégramme. Au fur et à mesure que mon écriture s’effaçait, je voulais absolument arriver à la quintessence de mon personnage, qui s’efface lui aussi.

Ce n’est pas pour rien qu’un auteur écrit à la première personne… Quel est votre sentiment par rapport à ça ?

Avec le recul, c’est vrai que lorsque j’ai réécrit le roman en commençant par « Je m’appelle Gilda Maurel… », je me suis mise dans la peau de cette femme, qui est un peu moi aussi, même si ce n’est pas mon histoire. L’écriture est devenue plus facile. J’ai énormément travaillé ce texte, je pouvais passer plusieurs jours sur un fragment, mais l’écriture est devenue évidente. Dès qu’on écrit, il y a toujours quelqu’un pour demander à l’auteur si c’est son histoire…

Comment avez-vous créé le personnage de Gilda ?

J’ai été une militante féministe – et je le suis toujours même si je ne suis plus inscrite dans des groupes. J’ai été frappée par la libération de la parole des femmes au début des années 70. A l‘époque j’étais dans le groupe de Gisèle Halimi, Choisir. C’était incroyable le nombre de femmes qui disaient avoir découvert que leur père ne l’était pas, que leur sœur ne l’était pas… Ces histoires m’ont marquée. J’ai compris qu’il était en train de se passer quelque chose. Et c’est cette histoire-là que j’ai voulu raconter. J’ai écrit au cours d’un atelier d’écriture un texte sur un personnage assez mélancolique qui allait se jeter dans un lac, un peu comme Virginia Woolf – Je suis fascinée par Virginia Woolf. Un jour, j’ai ressorti le texte et j’ai commencé à dérouler le fil, à raconter une histoire. J’ai beaucoup aimé écrire sur la mélancolie, qui est certainement une part de moi.

Vous n’avez pas choisi l’époque au hasard. Les années 50, une France provinciale, sclérosée et Gilda qui en part sans pour autant s’en libérer…

Du point de vue strict de l’écriture, je n’ai pas réussi à ne pas en faire un drame. Chaque fois que je lui voulais un peu de bonheur, j’arrivais dans une impasse. Et puis il y a quelque chose de la sensualité et de la sexualité de Gilda qui est révélé par cet amour. Ne plus jouir fait qu’elle n’a plus envie de vivre. Elle fait tout pour permettre à son enfant de prendre son envol et une fois qu’elle a accompli sa tâche, elle s’en va. Pourquoi lutterait-elle ? Pour quoi faire ?

Nous avons compris que Gilda ne faisait pas le deuil de cet homme, comme un attachement à la sensualité découverte, comme un amour passionnel, qui s’il n’est pas consommé ne peut pas être déçu, ni remplacé.

C’est exactement ça. Pour moi, Gilda se réalise. Ce n’est pas parce qu’elle s’efface, qu’elle ne se réalise pas.

Est-ce que ce personnage de Gilda n’est pas antiféministe ?

Non, je ne le crois pas. Parce qu’elle choisit et qu’elle assume ses responsabilités jusqu’au bout. Être féministe, ce n’est pas qu’être contre, c’est dire aussi « Voilà ma vie, voilà mon destin » et y aller. Être féministe, c’est choisir, quel que soit le choix.

Gilda dit dans le roman qu’elle n’est pas une femme plurielle. Qu’est-ce qu’une femme plurielle ?

Dans le cas de Gilda, ce serait accepter d’être une femme de, la mère de. Et d’accomplir ces tâches, de passer de l’une à l’autre. Gilda ne veut pas être ça.

Vos personnages masculins semblent se répondre. Luis est très jeune…

Et Charles est une victime lui aussi. Luis, lui, est jeune, il a vingt ans, il est mineur. Il y a des gens qui m’ont parlé de Gabrielle Russier, cette enseignante qui s’est suicidée. Je devais être au lycée à l’époque et c’est une histoire qui m’a marquée.

La femme sur le tableau de couverture, c’est Gilda ?

Oui, c’est un tableau qui était dans ma famille. Quand s’est posée la question de la couverture, mes filles m’ont conseillé ce tableau, comme une évidence. Le peintre était honoré que j’ai choisi son tableau pour la couverture de mon livre. J’étais ravie.

Pourquoi publiez-vous votre premier roman si tard ?

J’ai toujours écrit. J’ai fait des ateliers d’écriture. Du reste, j’ai eu une vie professionnelle et des enfants… J’ai créé une association Escales, des artistes et Bordeaux, j’ai tenu un blog sur le cinéma…Et puis j’ai eu une ouverture, une possibilité pour écrire. Depuis trois mois j’ai pris la présidence du comité Atlantique de la Fondation de France. C’est passionnant ! Je déteste le mot « retraite »…

Propos recueillis par Les Liseuses de Bordeaux
Texte introductif de Florence

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