Nom, de Constance Debré

La vie, à l’os… parce que sinon ça ne sert à rien, parce que sinon on ne sait même pas ce qu’on fait, parce que sinon on passe son temps à dire, lire, penser des trucs et à faire le contraire. Faire le contraire de ce que l’on sent comme réellement important, net, substantiel, comme valant vraiment la peine. Pour Constance Debré, le substantiel, le valable, le tangible intellectuellement et physiquement, c’est nager, écrire, lire, pédaler, faire l’amour. Et faire cela vraiment, le faire sérieusement, avec la discipline nécessaire, ça prend tout son temps. Sans plus d’espace pour le reste. Le reste, le pas important : posséder – des choses, des êtres -, croire, se rassurer, aimer mal, rester fidèle à des choses, des êtres chosifiés (la famille), se raconter des histoires, sur soi et sur les autres.

Comme le dit Constance Debré, il faut être sérieux et « les gens ne sont pas sérieux », « ils vont à demi… » Dans ce troisième récit biographique, après Play Boy et Love me tender, Constance Debré continue à tout bazarder parce qu’il le faut, parce que c’est nécessaire. Et la famille est la première des choses à bazarder, précisant bien que le sujet n’est pas sa famille, si prestigieuse, si révérée, si sûre d’elle-même, le problème c’est la famille, tout comme le sujet de son récit n’est pas sa vie, mais la vie et la question de savoir quoi en faire :

Avec n’importe quels parents j’aurais écrit le même livre. Avec n’importe quelle enfance. Avec n’importe quel nom. Je raconterai toujours la même chose. Qu’il faut se barrer. De n’importe où et n’importe comment. Se barrer. Aller de plus en plus loin. Géographiquement ou sans bouger. Etre de plus en plus seul. Aller vers la solitude. La sienne ou celle de l’autre.

Poursuite de ses deux précédents récits où elle narrait la rupture avec sa vie d’avant, d’avocate, de mère, de femme hétérosexuelle, de propriétaire…, Nom obéit à la même logique : vivre la radicalité (sans domicile, sans métier, sans possession, sans famille…), écrire/nager, tout le temps, aller au bout de cette logique, de cette liberté et de tout ce qu’elle comporte. Et pour cela, il faut partir léger. Constance Debré n’a cessé de s’alléger depuis Play Boy, premier acte, premier temps de la vie trouvée. Nom insiste : « l’origine doit toujours être trahie, parce qu’accepter l’origine est le premier renoncement qui entraîne tous les autres (…) la refuser est le premier sursaut, celui qui permet tous les autres, parce qu’il faut savoir trahir » et que « ces trois choses, la famille, l’enfance, la bourgeoisie, se tiennent la main dans ce cirque fou dans lequel on nous enferme, qu’on nous sert tous les jours… ».

Il faut tout « passer par l’acide » pour pouvoir reconstruire mais tout l’intérêt du chemin vers lequel nous pousse Constance Debré est qu’il est fort loin d’un nihilisme de principe, d’un acte de vague misanthropie car elle est « le contraire de quelqu’un qui s’en fout », ce qu’illustre notamment sa relation à son père, présent dans ses trois récits, présent parce qu’il y a quelque chose chez lui qui fait profondément sens dans son rapport à la vie, même s’ils ne parlent pas, parce qu’ils ne parlent pas, mais certainement pas parce que c’est son père.

C’est en cela que les gens ne sont pas sérieux : avec leur « identité », leurs possessions, leur « amour » qui les attache, avec ces attaches dont on ne sait plus à quoi exactement elles les attachent si ce n’est à la « vie calme », celle qui protège de l’aventure de toute existence : « J’ai pensé que la famille, l’amour de la famille, la foi dans la famille, au fond c’était juste de la peur à se poser la question de l’amour ».

Nom, le nom de ce qui, pour paraphraser le chanteur Hervé, nous fait si bien du mal mais surtout, grand bien. 

France, invitée des Liseuses de Bordeaux, le 8 avril 2022

Nom, Constance Debré, Flammarion, 2022

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