Vivre avec nos morts de Delphine Horvilleur, édité chez Grasset, nous remet au cœur de notre condition humaine.
Dans ce récit qui prend la forme d’un témoignage, elle nous raconte son métier, celui de rabbine amenée à accompagner ceux qu’elle nomme les endeuillés, ceux qui font appel à elle pour les aider à dire adieu à celui ou à celle qu’ils vont inhumer.
Les attentats de Charlie, ceux du Bataclan puis la pandémie ont reposé la question collective de notre disparition, « la possibilité de l’impossibilité d’être » selon les mots de Martin Heidegger et celle de l’accompagnement de nos morts.
En 2020, à travers le monde, l’ange de la mort a décidé de nous visiter un peu partout, de frapper à la porte de chaque continent (…) soudain la peur qu’elle touche un proche, qu’elle infiltre notre territoire est palpable. L’ange que nous voulions éloigner exige qu’on lui fasse de la place dans nos existences et dans nos sociétés.
Parce qu’« il existe toujours un territoire plus grand que ma croyance », c’est à tous les vivants que s’adresse Delphine Horvilleur, au-delà donc de la tradition juive qu’elle nous amène néanmoins à explorer avec elle et non sans humour.
La vie louangée, exaltée est bien en effet le véritable sujet du livre et d’ailleurs le cimetière ne se dit-il pas Beit alH’ayim en hébreu : « la maison de la vie » ? C’est vers les endeuillés plus que vers les morts qu’elle se tourne et parce que cette femme est une formidable conteuse, elle se saisit des mots livrés par les vivants qu’elle retisse avec les siens pour « faire de la vie du disparu un destin » et pour les faire réentendre aux oreilles des endeuillés : « Ne jamais raconter la vie par sa fin mais par tout ce qui, en elle, s’est cru « sans fin » ».
Les mots hébreux choisis par l’auteur pour leur épaisseur imagée disent une chose capitale. Nos vies sont tissées à celle des autres et les morts ne sont jamais totalement morts car les fils de leur vie sont restés ourdis aux nôtres.
Si les histoires des deuils accompagnés au bord de la tombe par cette insolite rabbine nous émeuvent profondément, car « aucun homme n’est une île », on rit aussi beaucoup à lire Delphine Horvilleur. Elle ne craint pas de nous faire goûter au fameux humour juif qui participe de la sagesse juive et aux histoires pleines d’irrévérence à l’égard de l’Eternel, souvent pris à parti pour « non assistance à peuple en danger ».
Ainsi à l’unisson, affirmons comme Delphine Horvilleur, LEH’AYIM ! « A la vie ! »
Véronique, invitée des Liseuses, le 28 mars 2022
Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur, Grasset, 2021