Le bureau d’éclaircissement des destins, de Gaëlle Nohant

Gaëlle Nohant est une romancière que j’affectionne particulièrement depuis son livre La part des flammes, sorti en 2015. Elle y raconte le destin de trois figures féminines essayant de se reconstruire suite au tragique incendie du bazar de la Charité qui a eu lieu le 4 mai 1897 à Paris. Ce drame a fait à l’époque de nombreuses victimes et endeuillé le tout Paris. Gaelle Nohant fait revivre le Paris du 19e, avec des personnages charismatiques et dignes qui veulent prendre en main leur destin. Dans La femme révélée, roman écrit en 2020, elle construit le personnage d’Eliza, épouse et mère d’un petit garçon qui décide de quitter une vie dorée américaine pour se construire une nouvelle identité dans un Paris de l’après-guerre. Elle devient Violet, une femme libre qui  va se réinventer en vivant en accord avec ses désirs et ses convictions. Elle y connait la puissance de l’amitié, la passion amoureuse, la beauté d’une vie qu’on se choisit. Mais cette liberté durement acquise n’efface pas la blessure profonde laissée par l’abandon maternel. Vingt ans après sa fuite, elle tentera de le retrouver .

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Le silence d’Isra d’Etaf Rum

Isra ne rêve pas. Le poids de sa culture ancestrale pèse sur ses épaules. Elle est née en Palestine. De quoi peut rêver une jeune fille de son rang qui n’a connu que soumission, restrictions, peurs ? Les femmes doivent rester à leur place.
Un mariage arrangé ? Il ne peut en être autrement. Sa vie sera-t-elle plus douce à Brooklyn loin des siens, loin des oliviers, des couchers de soleil sur les montagnes ? Elle n’a pas le choix. 16 ans, c’est l’âge de partir.
Isra ne parle pas, ou très peu. Ce nouveau monde qu’elle prenait pour un eldorado sera sa nouvelle prison. Être immigrée à New York n’est pas une sinécure. Elle a pourtant cru qu’elle pourrait se payer le luxe de rêver. Enfermée dans le sous-sol d’une maison avec pour seule compagnie sa belle mère palestinienne immigrée comme elle, qui ne croit pas en l’émancipation des femmes.

Ton destin ma chère Isra sera d’enfanter et satisfaire ton mari. Tu auras des fils.

Malédiction, Isra aura 4 filles. Son destin la pousse dans un profond abîme de désespoir. Heureusement, la lecture la fait voyager vers d’autres horizons, la sort de son quotidien ravageur. Plus de mari violent et alcoolique, plus de belle mère odieuse. Elle aimerait tellement pouvoir offrir un autre destin à ses filles qu’elle ne sait pas aimer. Sa détresse est trop grande.
Dans ce roman, Etaf Rum, jeune autrice américaine d’origine palestinienne, nous donne à voir la dure réalité de trois générations de femmes. Les deux premières sont nées en Palestine. Les filles d’Isra sont nées aux États-Unis. Deya, la fille aînée d’Isra changera-t-elle le cours des choses ?
Entre mensonges et non-dits, nous sommes pris dans ce drame familial touchant et bouleversant. 

Sophie, invitée des Liseuses de Bordeaux, le 28 avril 2022

Le silence d’Isra, Etaf Rum, L’Observatoire, 2020

Nom, de Constance Debré

La vie, à l’os… parce que sinon ça ne sert à rien, parce que sinon on ne sait même pas ce qu’on fait, parce que sinon on passe son temps à dire, lire, penser des trucs et à faire le contraire. Faire le contraire de ce que l’on sent comme réellement important, net, substantiel, comme valant vraiment la peine. Pour Constance Debré, le substantiel, le valable, le tangible intellectuellement et physiquement, c’est nager, écrire, lire, pédaler, faire l’amour. Et faire cela vraiment, le faire sérieusement, avec la discipline nécessaire, ça prend tout son temps. Sans plus d’espace pour le reste. Le reste, le pas important : posséder – des choses, des êtres -, croire, se rassurer, aimer mal, rester fidèle à des choses, des êtres chosifiés (la famille), se raconter des histoires, sur soi et sur les autres.

Comme le dit Constance Debré, il faut être sérieux et « les gens ne sont pas sérieux », « ils vont à demi… » Dans ce troisième récit biographique, après Play Boy et Love me tender, Constance Debré continue à tout bazarder parce qu’il le faut, parce que c’est nécessaire. Et la famille est la première des choses à bazarder, précisant bien que le sujet n’est pas sa famille, si prestigieuse, si révérée, si sûre d’elle-même, le problème c’est la famille, tout comme le sujet de son récit n’est pas sa vie, mais la vie et la question de savoir quoi en faire :

Avec n’importe quels parents j’aurais écrit le même livre. Avec n’importe quelle enfance. Avec n’importe quel nom. Je raconterai toujours la même chose. Qu’il faut se barrer. De n’importe où et n’importe comment. Se barrer. Aller de plus en plus loin. Géographiquement ou sans bouger. Etre de plus en plus seul. Aller vers la solitude. La sienne ou celle de l’autre.

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Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur

Vivre avec nos morts  de Delphine Horvilleur, édité chez Grasset, nous remet au cœur de notre condition humaine.

Dans ce récit qui prend la forme d’un témoignage, elle nous raconte son métier, celui de rabbine amenée à accompagner ceux qu’elle nomme les endeuillés, ceux qui font appel à elle pour les aider à dire adieu à celui ou à celle qu’ils vont inhumer.

Les attentats de Charlie, ceux du Bataclan puis la pandémie ont reposé la question collective de notre disparition, « la possibilité de l’impossibilité d’être » selon les mots de Martin Heidegger et celle de l’accompagnement de nos morts.

En 2020, à travers le monde, l’ange de la mort a décidé de nous visiter un peu partout, de frapper à la porte de chaque continent (…) soudain la peur qu’elle touche un proche, qu’elle infiltre notre territoire est palpable. L’ange que nous voulions éloigner exige qu’on lui fasse de la place dans nos existences et dans nos sociétés.

Parce qu’« il existe toujours un territoire plus grand que ma croyance », c’est à tous les vivants que s’adresse Delphine Horvilleur, au-delà donc de la tradition juive qu’elle nous amène néanmoins à explorer avec elle et non sans humour.

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