Voici un livre ne relevant ni du roman ni de l’essai mais du témoignage ou plus précisément du récit en immersion, comme l’indique l’éditeur. A ce titre, il pourrait exercer un moins grand pouvoir d’attraction sur un lectorat avide d’histoires imaginaires ou intéressé par la spéculation intellectuelle. Si à cela on ajoute que ce témoignage est l’expérience jour après jour d’une jurée d’Assises, on pourrait être tenté de passer son chemin ou alors, bien au contraire, de se laisser piquer par la curiosité en saisissant cette occasion d’entrer comme par effraction dans un lieu qui en impose terriblement.
Clémentine Thiébaut, journaliste en critique littéraire, est un beau jour désignée par tirage au sort pour devenir le temps d’une semaine une auxiliaire de la justice.
D’abord abasourdie, elle ne sait s’il faut se réjouir ou se désoler de cette nouvelle dont elle pressent qu’elle va terriblement bouleverser l’organisation de son quotidien et provoquer un certain remue-ménage dans le monde de ses pensées et de ses émotions. Elle nous fait vivre presque heure par heure les prolégomènes du procès puis la journée d’une jurée d’Assises qui découvre toutes ses arcanes, ses protocoles, ses coulisses (la salle des délibérés), ses acteurs côté Cour et si j’ose dire côté jardin (les accusés), ses moments d’ennui ou d’agacement mais surtout l’extraordinaire opportunité d’approcher au plus près des semblables à mille lieues de son univers. Mais au-delà de la partie visible de la machine judiciaire, l’auteur nous fait découvrir tout ce qui l’actionne : ses mécanismes, ses règles, ses prescriptions, ses lois et nous permet de soulever les lourds drapés qui voilent l’exercice de la justice.
Il s’agit donc d’un procès en appel pour meurtre organisé et complicité de meurtre en bande organisée dont les protagonistes ne sortent jamais de la mare de boue dans laquelle ils se sont plongés par leur violence et leur bêtise crasse. Alors ici, pas d’empathie, pas d’attendrissement, pas d’émotion ou de tentative pour comprendre : tout est trop brut.
Pourtant, ce que Clémentine Thiébaut nous fait vivre avec elle, c’est la conscience très forte que chaque juré a de sa mission : avoir à juger à la fin du procès de ce que sera pendant les années à venir l’existence des accusés, derrière ou non les barreaux d’une prison. Charge vertigineuse, presque palpable qui occupe la pensée nuit et jour jusqu’au jour du verdict, point d’orgue de ces journées vraiment pas comme les autres.
Le 31 janvier 2022, Véronique, invitée des Liseuses de Bordeaux
En votre intime conviction, Clémentine Thiebauld, Robert Laffont, 2022