La splendeur et l’infamie, de Erik Larson

Voici un livre qui se lit comme un roman mais qui n’en est pas un.

C’est un ouvrage historique qui suit presque jour par jour les événements se déroulant en Grande-Bretagne du 10 mai 1940 au 10 mai 1941, c’est-à-dire pendant la première année du gouvernement de Winston Churchill en tant que PM.  (Premier ministre). Son titre, La splendeur et l’infamie, distribue les rôles : celui de la Grande-Bretagne face à l’Allemagne nazie désireuse de négocier avec Churchill et finalement contrainte par son refus à la détruire. Un troisième acteur est poussé sur la scène par Churchill, les Etats-Unis avec son congrès et son peuple qui pendant de longs mois se demanderont chacun avec ses raisons « j’y va t’i, j’y vas t’i pas ? »

Tout ce qui est rapporté ici est dûment documenté : la moindre parole, le moindre trait d’esprit, les échanges entre les personnalités en présence, les descriptions de lieux, les situations vécues par les Britanniques et ce grâce aux récits des diaristes officiels (ils ont été sollicités pour ça) ou privés (ils ont écrit pour eux-mêmes ou pour la postérité) et bien sûr les fonds d’archives churchilliennes notamment, ont été explorées avec tout le sérieux requis par le travail d’historien d’Erik Larson.

Ce qui fait l’intérêt de cette lecture, ce sont bien sûr les événements racontés et plus singulièrement la partition jouée par la Grande-Bretagne, mais ce qui en fait la saveur et le plaisir proprement jubilatoire, c’est la manière dont ces événements sont joués par des personnes et des personnalités dont Erik Larson fait des personnages.

Si Churchill est le protagoniste superbe, imposant, courageux, exigeant, autoritaire et en apparence sans état d’âme, il est aussi et surtout dans ce récit, plein de drôlerie (Ah ! ses entrechats et ses sautillements sur des airs de musique), libéré des conventions (combien de fois n’a-t-il pas été surpris à demi nu traversant les couloirs du 10 Downing, jusqu’à recevoir intégralement nu, un cigare aux lèvres, un Roosevelt débarqué inopinément dans sa chambre ?) et haut en couleurs en toute circonstance (désireux de manier une nouvelle arme aérienne sur le pont du Nelson quoique sans enthousiasme excessif des officiers de l’Amirauté, il manque, rien de moins, de tuer le représentant du président Roosevelt !)

Churchill est le grand homme politique que l’Histoire a consacré et ce livre lui accorde toute sa dimension, mais il est aussi l’époux de l’imposante Clémentine, le père de Randolph, buveur et joueur intempérant, marié à la ravissante et pétulante Pamela, et de Mary, dont le romantisme de ses 18 ans s’exprime dans l’écriture d’un journal. Ce cercle intime, l’auteur nous le rend familier par l’évocation de ses petitesses et de ses grandeurs. Nous nous en agaçons ou nous en rions beaucoup.

Il est aussi le « patron » de Colville son secrétaire particulier entièrement dévoué à sa personne et aussi un amoureux malheureux et insistant. Il est aussi le patron et l’ami de Max Beaverbrook, éminent industriel et homme de presse devenu le ministre de la production aérienne, personnage étonnant à tous égards décrit comme un « méchant elfe des contes de fée », surnommé le « crapaud » ou le « castor » mais à propos duquel Churchill disait : « Certains prennent de la drogue. Moi, je prends Max »

Si les raids aériens de la Luftwaffe tuent, détruisent, ensanglantent le sol anglais, on continue à danser, à travailler, à aimer, à faire la fête, surtout si on est un privilégié. Le lecteur visitera, éberlué, les abris anti-aériens luxueux du Claridge ou du Ritz où se rassemblent les happy few et suivra, angoissé, la population londonienne à la recherche d’un lieu où dormir dans les stations de métro les plus profondes. Seule la mort reste, ici aussi, le remède radical aux inégalités !

Ce récit n’est ni sombre ni lugubre même si les événements rapportés le sont. « Je n’ai rien à offrir que du sang, de la sueur et des larmes » dira Churchill et c’est ce que les Britanniques donneront en quantité pour protéger la fière Albion. Mais Erik Larson a choisi de donner chair et humanité à ces acteurs de la grande histoire, grands ou petits, et parfois non sans humour et sans beauté.

« La nuit était sans nuages et étoilée, la lune se levait au-dessus de Westminster. Rien n’aurait pu être plus beau, et les projecteurs qui s’entre-croisaient en certains points de l’horizon, les éclairs en forme d’étoiles des explosions d’obus dans le ciel, la lumière des brasiers au loin, tout cela contribuait au décor. C’était magnifique et terrible (…) Jamais il n’y avait eu un tel contraste entre la splendeur naturelle et l’ignominie humaine » écrit John Colville.

Véronique, le 30 mars 2023

La splendeur et l’infamie, Erik Larson, Le livre de Poche, 2022

Manger moins (et mieux) de viande, de Gilles Daveau

Avec la nouvelle année, arrivent les bonnes résolutions.

Et si on mangeait moins de viande ? Mais pourquoi me direz-vous. On apprend dans ce livre de Gilles Daveau que « l’élevage émet 14,5 % de gaz à effet de serre : plus que le secteur de transport. Et il faut 10 à 12 fois plus d’eau, de surface agricole et de pétrole pour produire des protéines bovines en système intensif que pour obtenir autant de protéines végétales… S’attaquer de front à la viande rend le sujet obsessionnel, comme lorsqu’on demande de ne pas penser à un éléphant rose : l’image s’impose instantanément. Encore une injonction morale et alimentaire de plus ! »

Ici pas question de culpabiliser mais d’expliquer avec des illustrations d’Etienne Friess humoristiques qui viennent alléger les nombreuses références à des études scientifiques.

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En votre intime conviction, de Clémentine Thiebauld

Voici un livre ne relevant ni du roman ni de l’essai mais du témoignage ou plus précisément du récit en immersion, comme l’indique l’éditeur. A ce titre, il pourrait exercer un moins grand pouvoir d’attraction sur un lectorat avide d’histoires imaginaires ou intéressé par la spéculation intellectuelle. Si à cela on ajoute que ce témoignage est l’expérience jour après jour d’une jurée d’Assises, on pourrait être tenté de passer son chemin ou alors, bien au contraire, de se laisser piquer par la curiosité en saisissant cette occasion d’entrer comme par effraction dans un lieu qui en impose terriblement.

Clémentine Thiébaut, journaliste en critique littéraire, est un beau jour désignée par tirage au sort pour devenir le temps d’une semaine une auxiliaire de la justice.

D’abord abasourdie, elle ne sait s’il faut se réjouir ou se désoler de cette nouvelle dont elle pressent qu’elle va terriblement bouleverser l’organisation de son quotidien et provoquer un certain remue-ménage dans le monde de ses pensées et de ses émotions. Elle nous fait vivre presque heure par heure les prolégomènes du procès puis la journée d’une jurée d’Assises qui découvre toutes ses arcanes, ses protocoles, ses coulisses (la salle des délibérés), ses acteurs côté Cour et si j’ose dire côté jardin (les accusés), ses moments d’ennui ou d’agacement mais surtout l’extraordinaire opportunité d’approcher au plus près des semblables à mille lieues de son univers. Mais au-delà de la partie visible de la machine judiciaire, l’auteur nous fait découvrir tout ce qui l’actionne : ses mécanismes, ses règles, ses prescriptions, ses lois et nous permet de soulever les lourds drapés qui voilent l’exercice de la justice.

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Les liseurs de Daraya

 

C’est une photo qui est à l’origine de l’écriture des Passeurs de livres de Daraya. Une photo qui interroge Delphine Minoui, grand reporter spécialiste du Moyen-Orient. C’est une quête qui commence alors pour elle. Elle veut savoir, elle veut comprendre. Utilisant les réseaux de communication modernes, elle retrouve la trace des personnes photographiées, ces jeunes Syriens entourés de livres qui bouquinent alors qu’une pluie de bombes détruit tous les jours leur cité.
Dès 2011, Bachar-al-Assad fait croire aux Occidentaux qu’il est le seul rempart contre Daech et que Daraya est un nid de terroristes qu’il faut éliminer. Or, l’armée syrienne libre est apparue dans le seul but d’obtenir le respect des droits de l’homme. Ces jeunes gens d’une vingtaine d’année se sont révoltés contre les injustices dans leur pays. Leurs actions se veulent non-violentes et on les a fait passer pour des djihadistes pour cautionner ces bombardements. Alors pour survivre et s’éduquer, ils décident de construire une bibliothèque souterraine et clandestine, ouverte à tous. Ils récupèrent dans les logements détruits et abandonnés des ouvrages de toutes sortes, en prenant soin d’inscrire sur la première page le nom du propriétaire, espérant qu’un jour les livres leur reviendront.

« Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leur arme d’instruction massive ».

Ce sera un lieu d’échanges qui va les rapprocher. La plupart n’aimaient pas lire auparavant, mais ils découvrent avec cette bibliothèque secrète le pouvoir de la lecture.

« Les livres nous ont sauvés. C’est notre meilleur bouclier contre l’obscurantisme ».

A travers ce récit, Delphine Minoui nous fait partager le drame de ces habitants pris au piège d’une guerre qu’ils n’ont pas voulue. Par son empathie, elle vit avec eux et nous fait vivre le drame de leur situation. On pourrait presque les entendre se parler. On imagine les photos prises au risque de leur vie pour témoigner de la cruauté syrienne. Chaque nouvel épisode nous fait frémir d’inquiétude. Et malgré la terreur qui règne, je suis admirative de leur joie de vivre. Même lorsqu’en 2016 des centaines de bus viennent les évacuer presque morts de faim, l’un d’entre eux se sent grandi de cette tragédie. Cette bibliothèque les a aidés à tenir le coup.

« Si les livres ne peuvent soigner les plaies, ils ont le pouvoir d’apaiser les blessures de la tête. Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit. »

Ahmad, Abou-El-Ezz, Shadi, Omar Abou Anas, Hussam Ayash : en écrivant les noms de ces bibliothécaires d’un temps, je souhaite prendre le relais de Delphine Minoui pour continuer la chaîne de vérité contre la dictature.

Les passeurs de livres de Daraya. Une bibliothèque secrète en Syrie, de Delphine Minoui

Babeth, 15 septembre 2019