
Philippe Lançon est journaliste. Le 7 janvier 2015, il est grièvement blessé lors de l’attentat contre « Charlie Hebdo ». Sa mâchoire et sa bouche sont détruites. A leur place, un lambeau, un morceau de sa propre chair, est greffé.
En parallèle de cette reconstruction physique, lente et douloureuse, Philippe Lançon construit une autre vie, celle de l’après, avec ce qui reste d’essentiel : la bienveillance. Les soignants, comme on les appelle maintenant, prennent toute leur nécessaire importance, à l’image de Chloé, la chirurgienne, car c’est de sa créativité, de son expérience et de son savoir-faire que dépend la future apparence humaine du journaliste.
Puis, sa famille, son frère, sa belle-sœur, ses parents, les amis, les femmes de sa vie, la précédente, l’actuelle, créent un cocon protecteur où il n’est pas forcément facile de rester car la réalité est dure à regarder en face : une gueule cassée, comme se nomme lui-même l’auteur. D’ailleurs, il bénéficie des avancées médicales qu’on prodigue aux victimes de guerre. Lui vivait dans un pays en paix.
A travers ce récit intime et lumineux, nous, lecteurs, accompagnons le mutilé dans sa lente réparation physique et psychologique, balisée de repères culturels : Bach, Kafka, Proust, dont la lecture de la mort de la grand-mère devient un rituel précédant les opérations chirurgicales. Ils sont les compagnons intérieurs sur lesquels l’auteur s’appuie pour composer un être de l’après.
J’ai profondément aimé ce roman car il est sans complaisance mais d’une grande humanité, dans sa recherche d’une dignité souvent difficile pour une gueule cassée. Sa restitution de l’évènement, de son impact dans sa vie et de leur compréhension sont d’un naturel qui m’a bouleversée. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un texte de cette intensité.
Bérengère, 13 décembre 2020