C’est la lecture d’un auteur américain qui m’a donné l’envie d’écrire un post. Il s’agit cette fois de T.C. Boyle, auteur dont je viens de finir le dernier roman, San Miguel. Son premier roman, America, prix Médicis étranger, m’avait fait découvrir cet écrivain à la fin des années 90.
Dans celui-ci, deux familles. Deux (et même trois) histoires de femmes. Et dans chaque histoire l’élément commun, le lieu de l’action, joue les premiers rôles.
A cinquante ans d’intervalle, deux familles vont s’exiler sur un îlot inhospitalier, battu par les vents, habité par les phoques et les moutons et situé au large des côtes de la Californie : San Miguel. Dans les deux cas, le chef de famille, rescapé d’une guerre, doit y gérer l’élevage et la tonte de centaines de moutons dispersés dans l’île. A la clé, un espoir de gain financier non négligeable, mais aussi une volonté de changer d’air, de se retrancher d’une vie sur le continent sans grandes perspectives ou d’échapper aux malédictions de l’Histoire. Deux femmes, que rien au départ ne prédestinait à cet affrontement acharné avec une nature hostile, vont évoquer leur vie sur ce bout de terre.
La première, Marantha, atteinte de tuberculose, y suit en 1888, accompagnée de sa fille adoptive Édith, un mari égoïste qui lui assure sans vergogne que ce changement de conditions de vie sera profitable à sa santé. D’emblée, il est évident que la force des vents, l’humidité permanente et le manque de soleil ne représentent pas le climat idéal, propre à soulager la phtisie. La rigueur du climat jointe au manque total de confort et de soins, à l’exclusion de toute vie sociale, vont avoir rapidement raison de sa volonté à faire confiance à son mari et à s’adapter à la rudesse de la vie insulaire. Comment reconstituer la vie douillette du continent dans une demeure délabrée, envahie par le sable et la boue ? Il ne suffit pas hélas de guetter avec une impatience teintée d’espoir l’arrivée de la caisse de vaisselle précieuse Wedgwood égarée lors du déménagement. Cette solitude interrompue seulement par le passage mensuel du bateau côtier et la visite bi-annuelle de mutiques tondeurs de moutons ne sont pas ce qui convient le mieux à une jeune Édith à laquelle on réservait une éducation soignée et qui ne rêve que de musique et de théâtre…
Élise, elle, débarque sur l’île en 1930, quelques jours après son mariage, en accord avec le projet de vie d’un mari un peu fantasque mais charmant qui espère, en s’installant sur ce bout de terre, échapper à la Grande Dépression qui sévit sur le continent et oublier les horreurs de la guerre de 14. Elle aussi va devoir se battre jour après jour avec les éléments contraires et l’isolement, mais jeune amoureuse pleine d’enthousiasme, elle va livrer bataille avec détermination et jeter les bases d’une vie de famille réussie au sein d’une nature sublimée qui ne sera pas qu’ hostile. Cette existence menée au rythme des forces telluriques de l’île sera cependant rattrapée de plus en plus souvent par les artifices du continent et les mouvements de l’Histoire.
Le lien entre les deux familles se fait par le truchement d’un journalier habitué de l’île. Jeune adolescent, il a eu pour tâche d’accueillir et d’aider le premier chef de famille. Il tombera amoureux d’Édith et aura l’occasion, à la fin de sa vie, de raconter l’histoire de celle-ci à Élise dont il seconde régulièrement le mari dans son métier d’éleveur.
La confrontation de l’homme avec une nature grandiose mais souvent hostile (nature qu’il finira cependant par entamer et dégrader) nous est contée de façon épique. L’île a une vie propre au même titre que ses habitants. Elle impose son pouvoir, refuse de se plier aux efforts de l’homme pour la discipliner, bat parfois en retraite, subit le tracé d’un chemin mais arrête là ses concessions. Seuls les moutons auront raison d’elle…
Quant à la propension satirique de l’auteur, elle resurgit surtout dans la deuxième moitié du roman, à l’évocation de la vie moderne représentée par les reporters envahissant l’île, prêts à recréer pour leurs lecteurs en quête de nouveaux mirages le mythe des pionniers de l’Âge d’or. A mon avis, ce roman vaut surtout pour la sensibilité et la finesse non dénuées d’humour avec lesquelles l’auteur évoque les sentiments et les mouvements d’âme de ces deux femmes qui toutes deux, en dépit de tout ce qui les sépare, ont eu à faire face à un univers radicalement différent de leurs origines, à subir la domination masculine, quoiqu’à des degrés divers, et à élever des enfants dans un contexte difficile. On reste touché par la grâce tranquille et la sobriété avec lesquelles l’auteur a rendu compte de leurs difficultés et de leur vie.
Marie-France
Avec beaucoup de finesse et de réussite, TC Boyle parvient à décrire le quotidien de ces femmes. Très beau roman qui se lit aisément et qui donne envie de découvrir les précédents livres de ce très grand auteur, à commencer par America.
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