Le sillage de l’oubli de Bruce Machart est un grand roman américain. Lyrique. Haletant.
La naissance de son troisième enfant fait ressurgir du passé des souvenirs que Karel Skala aurait sûrement préféré laisser de côté : son père tyrannique et âpre au gain qui se servait de ses fils comme de bêtes de somme, les mariages de ses frères conclus dans des conditions douteuses, la mort de sa mère. A ces souvenirs douloureux s’ajoutent la présence de jumeaux inconscients et perdus.
Bien que l’intrigue se déroule au Texas et qu’il soit beaucoup question d’alcool, de chevaux et de violence, ce roman est une tragédie presque autant qu’un western. Il est construit autour de trois dates clés de la vie de Karel Skala, bien qu’il retrace trente ans de sa vie : 1895, le jour de sa naissance, qui est aussi celui de la mort de sa mère ; 1910, l’année du mariage de ses frères et de la mort de son père ; et 1924, l’année de la naissance de son fils. L’auteur promène le lecteur entre ces trois années clé en distillant savamment l’intrigue.
Même si l’histoire n’est pas vraiment originale – la brutalité des hommes, l’éclatement d’une fratrie – ce n’est pas ce qui compte vraiment. Ce qui m’a impressionné, c’est le style de Bruce Machart : lyrique, à en couper le souffle. Ses phrases sont longues, lentes et poétiques, si bien que le lecteur retient son souffle jusqu’à leur fin. Elles l’hypnotisent et lui font vivre des émotions intenses et brutales.
Le sillage de l’oubli m’a transporté. Bruce Machart a été comparé à Faulkner pour son écriture et à Cormac McCarthy pour les paysages. C’est un grand écrivain. Lisez-le sans hésiter d’autant plus que la traduction française de Marc Amfreville est magnifique. Ce n’est pas un hasard s’il a reçu le prix de littérature traduite du festival Lire en Poche (Gradignan).
Interview du traducteur, Marc Amfreville
Vous venez de recevoir le prix de littérature traduite du festival Lire en Poche (Gradignan) pour votre traduction du roman de Bruce Machart, Le sillage de l’oubli. Comment vous sentez-vous ?
Marc Amfreville : je suis très touché car les traducteurs sont largement oubliés de la scène littéraire. En même temps, ce n’est pas un livre qui demande un immense travail au traducteur dans le sens où c’est un livre génial en lui-même. Certains livres ont besoin d’un gros travail du traducteur, pas celui-ci. C’est un grand roman.
Pouvez-vous nous parler de ce roman ?
C’est un livre qui a tout ce que j’aime à la fois. C’est un livre sombre qui a une dimension mélancolico-tragique. Il y a des déchirements. On a comparé Bruce Machart à Faulkner. La noirceur du propos est très allégée par l’élégance de l’humour : il y a des moments où l’on rit et d’autres où l’on est saisi à la gorge. Pour moi, cela fait un grand livre.
Comment travaillez-vous ?
Chaque traducteur travaille différemment. Je ne lis jamais le livre en entier dans un premier temps. Parce que j’ai besoin du suspens, du rythme de la découverte du texte. Je traduis au fil du livre et donc je suis obligé de faire beaucoup de retour. Certains traducteurs vous diront que c’est une hérésie mais je le revendique car ça me correspond. Cela me permet de préserver la fraîcheur d’une première lecture.
Comment avez-vous procédé pour Le sillage de l’oubli ?
Oliver Gallmeister, l’éditeur, m’a contacté en me disant qu’il avait découvert une perle. J’ai feuilleté le roman, comme à mon habitude, et je l’ai adoré.
Est-ce qu’il faut aimer l’auteur pour bien le traduire ?
Il faut aimer le texte. Il y a des auteurs qu’on n’aime pas. Je suis un traducteur qui écrit beaucoup à ses écrivains. Et ce n’est pas si facile pour un écrivain de devoir répondre aux questions d’un traducteur. Cela peut diminuer le capital de confiance. Mais je collabore beaucoup avec les auteurs avec lesquels je travaille. Aimer un écrivain ? Il est vrai qu’on est dans un tel travail commun avec lui qu’on l’aime comme un camarade. Bruce Machart est un être exquis. J’ai rarement reçu des mails aussi complets pour m’expliquer chacune des choses que je lui demandais. Lui, je l’aime !
Quel roman de la littérature américaine aimeriez-vous traduire ?
Je me suis fait très plaisir en reprenant une traduction de Melville pour la Pléiade. C’était très enrichissant. Avec un ami, Antoine Cazé, j’ai traduit Fitzgerald pour la Pléiade également. J’adorerais traduire un Hawthorne, ou tous ces grands classiques de la littérature américaine qui ont souvent été traduits dans les années 30 et 40 où l’on ne faisait pas œuvre de fidélité. Il y a donc des choses à reprendre.
Quel est le dernier roman qui vous a transporté ?
Je viens de traduire le premier roman de Joshua Max Feldman La prophétie de Jonas. C’est un livre complètement attachant qui réfléchit aux possibilités spirituelles de notre vie au contraire de religieuses. C’est l’histoire d’un avocat new-yorkais, golden boy couvert de femmes, d’aventures et d’argent, qui voit le religieux entrer dans sa vie au point de lui faire comprendre que sa vie n’a pas de sens. C’est un roman d’une finesse extraordinaire, tout en allusion. Malheureusement, ce roman est perdu dans la rentrée littéraire.
Florence
Ce roman est magnifique !
Merci pour cette belle entrevue avec le traducteur (il a fait un travail formidable !!)
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