La dernière fugitive

tracy-chevalier-la-derniere-fugitive-liseuses-de-bordeauxC’est à une jeune fille que Tracy Chevalier, auteur américain vivant en Angleterre, donne le premier rôle dans son dernier roman La dernière fugitive, tout comme elle l’avait fait dans ses oeuvres précédentes.

Honor, une très jeune quaker anglaise, naïve et inexpérimentée, va  découvrir,  en exil, loin du cocon familial, les contradictions inhérentes à chaque communauté et à chaque être humain. Elle y trouvera la force de grandir et de se positionner dans sa vie d’adulte.

L’histoire se passe au milieu du 19e siècle. Après la rupture de ses fiançailles, Honor décide d’accompagner sa soeur en Amérique. Cette dernière a fait le projet de se marier avec un Ami de sa communauté, émigré dans l’Ohio. Mais victime de la fièvre jaune, elle meurt pendant le voyage. Honor se retrouve donc seule dans la communauté où elle devait accompagner sa soeur dans sa nouvelle vie. Recueillie temporairement par l’ex-futur époux de sa soeur, son avenir lui semble bien incertain et elle ressent douloureusement son déracinement. Seul élément à quoi se raccrocher : son goût pour la confection de kilts anglais et sa dextérité à manier l’aiguille qui lui attire l’intérêt de certains. L’auteur qui semble bien documentée à ce sujet, nous fournit à l’occasion de nombreuses indications sur la fabrication de cette couverture et sur les différences entre kilts anglais et kilts américains.

En toile de fond de cette histoire, l’Ohio et ses petites cités qui poussent comme des champignons. Et aussi bien sûr, la communauté des Amis à laquelle Honor appartient et dont l’auteur, ici encore très bien documentée, nous dépeint au gré de l’évolution de la jeune fille, la sobriété de vie, la rigueur des lois communautaires et, paradoxalement, une relation très individuelle à Dieu que ne semblent structurer aucune cérémonie ni hiérarchie religieuses.

Une autre thématique va bientôt devenir le pivot autour duquel se construisent l’histoire et la personnalité d’Honor : c’est l’esclavage. Mais n’allons pas imaginer des esclaves noirs trimant dans les champs, nous sommes ici en effet dans un état du Nord où l’esclavage n’a pas cours. Les Amis, en particulier, ne le reconnaissent pas.

L’Ohio de cette époque est sinon la destination du moins le lieu de passage obligé des esclaves noirs en fuite vers la liberté que représente pour eux le Canada. Le chemin de fer nouvellement construit est pour eux d’une aide précieuse.

Mais aucun des noirs, que ce soient ceux qui ont trouvé refuge et commencé une nouvelle vie dans des villes ouvertes au progrès et partisanes de l’abolition, comme Oberlin par exemple, ou ceux qui fuient vers le Canada en comptant sur l’aide des Amis, aucun d’entre eux n’a vraiment droit de cité parmi les blancs. Les chasseurs d’esclaves font régner leur loi sur la région et savent exploiter les peurs et les préjugés des gens les mieux intentionnés.

Un Sud esclavagiste et un Nord abolitionniste serait une vision par trop simpliste de la situation de l’époque et l’auteur a tôt fait de balayer cette image.

C’est ce dont Honor va faire l’expérience. Elle ne manque pas de s’interroger en toute honnêteté sur ses propres réactions face aux noirs mais sait très rapidement dépasser certaines réticences et choisir ses vraies valeurs personnelles. Ce faisant, elle va s’émanciper de toutes les contradictions, de tous les préjugés qui ont cours à cette époque chez les Amis. Elle n’hésitera pas à remettre en question son appartenance à la communauté pour assumer pleinement ses convictions.

Une héroïne attachante, à la fois forte et fragile, un arrière plan historique et sociologique solidement campé font de ce roman une lecture fort agréable. On peut imaginer sans peine que le cinéma verra là une possibilité alléchante d’adaptation à l’écran.

Marie-France, 19/08/2014

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