Dans Une enfance de rêve, Catherine Millet reconstitue avec précision le cadre dans lequel s’est déroulée son enfance dans les années cinquante, un milieu petit bourgeois de la Garenne Colombes.
Le titre, volontairement ambigu, renvoie à la personnalité de la fillette qui traverse son enfance en observatrice du réel : « la vie dédoublée suppose non pas de s’absenter du monde pour rejoindre un monde imaginaire, mais d’être au contraire hyper présent ... ». Elle vit plus volontiers dans l’entre-deux du rêve éveillé et dans l’affabulation plutôt que de se laisser entamer par les difficultés du réel, dues essentiellement aux violentes disputes des parents et aussi à la promiscuité d’un espace de vie restreint : «cette nébuleuse qui enveloppe tous les faits de la vie et en adoucit les contours lorsqu’ils sont trop vifs … »
Ce qui frappe, c’est avant tout le manque de pathos du récit qui permet une analyse presque froide et détachée, extrêmement précise et tout en finesse de chacun des personnages constituant la famille et de la manière dont l’enfant a évolué dans ce milieu marqué par les conflits familiaux. Mue par une constante exigence d’objectivité, Catherine Millet nous décrit par le menu les expériences et les apprentissages divers d’une petite fille, puis d’une adolescente, d’abord au sein de sa famille, puis à l’école, en vacances, au catéchisme… Elle revient à de nombreuses reprises sur le rôle primordial de la lecture et de l’écriture dans l’évolution psychique de la fillette.
Constamment, l’auteur élargit son propos, partant de son vécu pour nous livrer une analyse très fine de l’enfance et de l’adolescence dont la justesse troublante peut interpeller chacun d’entre nous. Les plus âgés – dont je fais partie – retrouvant également avec plaisir dans l’évocation de l’époque, l’après-guerre, des éléments de leur propre enfance.
Ce roman de Catherine Millet – le premier que je lisais – m’a tout de suite fascinée par sa grande intelligence et la beauté sobre de son style (je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à Marguerite Yourcenar !!) . Il m’a donné envie de la rejoindre dans ses deux autres écrits – La vie sexuelle de Catherine M. et Jour de souffrance – dont la lecture ne m’avait pas tentée jusqu’à ce jour.
Marie-France, 30/06/2014