Le passager, de Cormac McCarthy

Ce roman publié par Cormac McCarthy seize ans après son dernier livre, et juste avant Stella Maris, est tel la somme d’un tout qui n’est pas toujours identifiable tant de directions et de pistes sont empruntées sans qu’aucune ne soit véritablement nommée ni refermée. Bobby Western traverse littéralement cette « somme ». Il est à l’intersection de chaque morceau d’histoire qui se tisse autour de lui sans que jamais il ne parvienne à y adhérer vraiment. Quel nom déjà : « Bobby Western » ! Un nom de lonesome cowboy et c’est bien ainsi qu’il apparaît au lecteur, ombre de lui-même depuis qu’il a perdu sa sœur qu’il s’est empêché d’aimer d’un amour total, transcendant les liens fraternels. On ne voit en effet pour ainsi dire de lui durant tout le roman que l’ombre derrière laquelle Cormac McCarthy l’abrite comme pour lui épargner un surplus de réalité qui n’a plus aucune résonance pour lui.

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Vivre avec nos morts, de Delphine Horvilleur

Vivre avec nos morts  de Delphine Horvilleur, édité chez Grasset, nous remet au cœur de notre condition humaine.

Dans ce récit qui prend la forme d’un témoignage, elle nous raconte son métier, celui de rabbine amenée à accompagner ceux qu’elle nomme les endeuillés, ceux qui font appel à elle pour les aider à dire adieu à celui ou à celle qu’ils vont inhumer.

Les attentats de Charlie, ceux du Bataclan puis la pandémie ont reposé la question collective de notre disparition, « la possibilité de l’impossibilité d’être » selon les mots de Martin Heidegger et celle de l’accompagnement de nos morts.

En 2020, à travers le monde, l’ange de la mort a décidé de nous visiter un peu partout, de frapper à la porte de chaque continent (…) soudain la peur qu’elle touche un proche, qu’elle infiltre notre territoire est palpable. L’ange que nous voulions éloigner exige qu’on lui fasse de la place dans nos existences et dans nos sociétés.

Parce qu’« il existe toujours un territoire plus grand que ma croyance », c’est à tous les vivants que s’adresse Delphine Horvilleur, au-delà donc de la tradition juive qu’elle nous amène néanmoins à explorer avec elle et non sans humour.

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PI YING XI, Théâtre d’ombres, de Philippe FOREST

Qu’est-ce qui fait que l’on prend une situation, ou plutôt juste un sentiment, à peine un soupçon, pour un signe ? C’est à ce questionnement que Philippe Forest confronte son lecteur dans ce « récit » recomposé. Dans cette confrontation au monde qu’est la vie, le « signe » est-il le produit de l’interaction du sujet avec le monde, ou bien seulement une projection arbitraire et unilatérale du sujet, et de lui seul ?

Telle est la question que se pose l’auteur en sortant de ce restaurant chinois, la question qui le conduira en Chine ou plutôt l’y reconduira car à bien y regarder, il ne la quitte plus beaucoup cette Chine devenue tout à la fois son ici, son quartier, et son ailleurs, son paysage mental. Face à ce qui pourrait sembler constituer un signe (un appel à l’aide sans provenance), il fait le choix de l’interpréter comme tel, prenant ainsi le risque de s’embarquer pour la Chine sans plus de motif que la conscience d’un besoin, celui d’imaginer « qu’il y a quelque chose à découvrir, qui, d’une certaine façon, se trouve en relation avec ma vie et qui, si je comprends quoi, m’en révélera peut-être le sens ».

La Chine qu’il connaît si bien (en tout cas mieux que d’aucuns qui rapidement s’en revendiquent spécialistes), et pourtant si peu, cette Chine devient au fil de cette narration mêlant récit et introspection un peu comme un autre lui-même.

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Les morts ne nous aiment plus, de Philippe Grimbert

Paul écope difficilement d’un accident cardiaque. Il est un éminent psychanalyste, spécialisé sur le domaine du deuil. Pour autant, ce doit être la première fois qu’il est ainsi confronté brutalement à la représentation de sa propre fin. Paul vit en solitude dans les après coups de cette fracture de la vie, dans une maisonnée qui lui offre une chaleur et une bienveillance sans doute mal mesurées. Il ne voit pas non plus son épouse s’installer dans une dépression, dont elle trouve l’issue dans un accident de voiture. Paul vit alors de plein fouet la morsure du deuil, gouffre sans fond qui lui réserve l’inattendu, l’impensable. Paul bataille, et lutte pour ne pas perdre les dernières traces de cette épouse dont les souvenirs viennent à s’estomper. C’est alors, que lors d’une intervention dans un colloque sur le deuil, il rencontre un étrange personnage, aux allures de corbeau… Qui aurait cru que Paul se serait laissé à aller jusqu’au terme de cette expérience… pour retrouver les liens avec sa disparue ?
Je ne vous dirai pas plus de la suite pour ne pas dévoyer l’intrigue. Elle est assez bien tissée pour vous mener d’une histoire aux allures autobiographiques (du type, dernier livre d’un psychanalyste, avant le retraite ou la mort !) vers un récit d’humour truculent… qui vous offrira l’envie dévorante d’en savoir plus et quelques rires francs sur les dénouements !

Une très belle écriture et une véritable réflexion sur le sujet du deuil, au-delà d’un roman aux allures de théâtre tragicomique !
En bref, je vous le recommande, et malgré le sujet, ce livre peut mettre de bonne humeur !

Laetitia, le 23 février 2022

Les morts ne nous aiment plus, Philippe Grimbert, Grasset, 2021