Nous traverserons des orages, d’Anne-Laure Bondoux

Comme je te l’ai dit, Saule, il n’y a pas de héros dans notre histoire. Seulement des hommes que la violence du monde laisse sans voix.

C’est avec délectation que j’ai lu les presque 500 pages du roman Nous traverserons des orages d’Anne-Laure Bondoux. Comme dans beaucoup de ses romans, il est question d’héritage familial. Nous suivons quatre générations sous l’angle des personnages masculins de 1914 à 2022. Anne-Laure Bondoux propose au lecteur de faire l’expérience de ces destinées d’hommes qui au début de leur vie sont lumineux, positifs mais que les évènements (traumatismes à la guerre, accidents ou non-dits) et les injonctions faites en fonction des époques transforment, les entrainant parfois vers la violence ou l’alcoolisme. C’est un roman sur la difficulté de vivre, sur les secrets de famille qui laissent des traces où les humiliations et la vengeance entraînent l’être humain dans la part sombre de l’humanité.

Dans cette ferme du Morvan, chaque personnage est confronté à un évènement auquel il ne s’attendait pas : la disparition étrange d’un frère pendant la première guerre mondiale, un accident avec des armes de résistants en 1943, l’amour interdit entre deux hommes dans les années 50, la mort d’une enfant, la cruauté de la guerre d’Algérie, le SIDA… Une lignée de drames familiaux qui recommencent sans arrêt et qui sont mis en miroir avec la grande histoire, celle qui reproduit également les mêmes erreurs sous prétexte d’évolution ou de territoires conquis.

Anne-Laure Bondoux a fait l’expérience dans sa vie des répercussions de la mémoire cellulaire qui est en chacun de nous. Cette mémoire qui se transmet parfois de façon inconsciente de génération en génération, elle en a fait un motif romanesque. « On croit faire des choix de vie très libres et qui sont en réalité une façon de parler de ce qui n’est pas dit ». Ce roman est l’aboutissement de ce motif et elle tente de montrer comment on arrive à s’en émanciper un peu.

Les personnages principaux ont beau être des hommes, j’avoue avoir eu un coup de cœur pour les femmes de ce roman. Discrètes mais vaillantes, elles ont subi la violence des hommes. Gaby, qui malgré la guerre préfère retourner à Paris, Suzon qui dévoile un secret libérateur, Christiane et son incroyable lettre à Ménie Grégoire, ou Ariane qui n’a jamais oublié l’amour de sa vie. Par ce roman, c’est aussi la place de la femme dans la société, depuis le début du siècle, qui est dépeinte.

Anne-Laure Bondoux donne une grande place à la musique dans ce roman. Elle fait référence à des chansons qui ont marqué chaque époque. L’autrice est passée de l’écrit à l’oral en proposant avec le guitariste Sean Seago, une lecture musicale qui nous plonge dans les pages de Nous traverserons des orages où des airs connus (de Viens Poupoule au Chant des patriotes jusqu’à Peter Gabriel) s’entremêlent aux extraits du livre. Vous pourrez découvrir les talents de chanteuse d’Anne-Laure car ce spectacle sera présenté le vendredi et le samedi lors du salon Lire en poche 2025. J’aurai également la joie d’animer la rencontre en petit comité avec Anne-Laure Bondoux le samedi matin (toutes les infos sont ici : Bondoux Anne-Laure | Lire en poche).

Plus le train approche de la gare de Sainte-Saverne, plus Aloès se demande si cette permission est une bonne chose. Depuis qu’il est arrivé en métropole… Tout ce qu’il voit l’assomme ou lui donne des bouffées de rage. Les autos rutilantes qui circulent, les tramways, les bus bondés d’hommes et de femmes affairés, souriants, tranquilles, les magasins aux vitrines criardes qui vantent des nouveautés – arrivages d’aspirateurs, de frigidaires ou de fers à repasser électriques – les gens assis aux terrasses des restaurants en robe légère ou en chemisette, les files d’attente devant les cinémas pour voir « La dolce vita », les sorties d’école ou s’agglutinent des mamans avec des landaus, même les arbres en fleurs sur les avenues lui filent la nausée.

Mais que font donc tous ces gens ? À quoi pensent-ils ? À quoi servent-ils, pendant que de l’autre côté de la mer, au nom de la France, on oblige des hommes de vingt ans à pointer des fusils sur la tempe d’innocents, puis à mettre le feu à leurs maisons ? Quel est donc cette planète sur laquelle il vient d’atterrir, où personne ne se soucie de rien sauf d’acheter des choses ?

Babeth, octobre 2025

Nous traverserons des orages, Anne-Laure Bondoux, Gallimard, 2023

Vous voulez réagir à ce post ?