Lors de sa première candidature, Donald Trump a fait de la construction d’un mur entre les Etats Unis et le Mexique l’une des mesures phares de son programme. Un an après son élection, l’écrivain Sylvain Prudhomme part réaliser un reportage sur ce sujet. En auto-stop, il parcourt de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique les 2500 kms de la frontière qui sépare les deux états, interviewant les automobilistes. Dans son dernier livre, Coyote, paru en 2014 aux Editions de Minuit, il nous offre un récit complet de ce périple. Les jurés du dernier festival littéraire des Étonnants Voyageurs de Saint Malo l’ont récompensé en lui décernant le prix Nicolas Bouvier.
Rappelez-vous le premier mandat de Donald Trump. A la stupéfaction de son élection, en 2017, avait succédé pour certains une volonté de réaction marquée par des initiatives telles que la création par François Busnel et Eric Fottorino d’une revue éphémère, America. Cette revue trimestrielle s’était donnée, pendant les quatre années de la première mandature, la mission de proposer des reportages sur l’Amérique de Trump, pour comprendre, et d’offrir une tribune à différents écrivains et artistes américains, pour réagir. J’en conserve précieusement les seize numéros. C’est à la demande de cette revue que Sylvain Prudhomme décide en 2018 de partir faire un reportage sur le mur voulu par Trump à la frontière américano-mexicaine. Et c’est du livre qu’il vient de terminer, Par les routes, fiction qui sera en 2019 récompensée du prix Fémina, que lui vient l’idée d’un voyage en stop :
Je venais à l’époque de terminer mon roman Par les routes, dans lequel un personnage voyage en stop dans le but délibéré de rencontrer des gens, de les photographier, de leur poser des questions sur leur vie. J’avais eu envie d’en faire autant. Souvent on s’inspire de ce que l’on a vécu pour écrire. Pour une fois ç’avait été le contraire : je m’étais inspiré de ce que j’avais écrit pour vivre.
L’écrivain imagine autour de l’auto-stop qui en est l’élément central un dispositif pour rencontrer et interviewer des Américains et des Mexicains. A chaque automobiliste qui l’accueille dans son habitacle, il explique qu’il est un écrivain français venu faire un reportage sur le mur de Trump. Il montre ensuite le calepin dans lequel il note fidèlement les paroles échangées. En fin de trajet il demande à prendre une photo polaroid du conducteur. Un portrait qui a pour but d’aider sa mémoire, bien sûr, mais qui nous est également destiné, à nous, ses lecteurs, pour rappeler que les échanges ne sont pas fictionnels, souligner leur réalité.
Tout ce dispositif fonctionne bien et suscite dans l’ensemble curiosité, sympathie, favorise la prise de parole, les confidences. Sylvain Prudhomme constate par contre que la pratique de l’auto-stop est devenue marginale dans cette partie du monde. Globalement les automobilistes sont réticents à le prendre et il reste de nombreuses heures à attendre sur le bord des routes. Malgré cette difficulté, l’écrivain progresse en suivant le trajet qu’il s’est fixé des deux côtés de la zone frontière. Les rencontres et les échanges se succèdent. La construction du mur est majoritairement désapprouvée mais Trump lui-même est loin de faire l’objet d’un rejet massif, même de la part de Mexicains ou d’Américains d’origine mexicaine.
Au fil des rencontres, un autre constat s’impose à l’écrivain : la plupart des automobilistes qui le prennent en stop sont des Mexicains et des hommes. Les Américains blancs et les femmes se comptent sur les doigts d’une main. Les raisons en sont bien sûr diverses, mais me semblent principalement liées à la peur de l’autre qui parait très présente du côté américain de la frontière. Difficile de choisir un extrait dans toutes ces restitutions tellement elles sont nombreuses à être interpellantes, émouvantes. En voici une issue de la rencontre avec José, ouvrier d’origine mexicaine, qui pour sa part condamne fermement Trump :
Regarde tout ça.
Toutes ces terres travaillées.
Qui fait tout ce boulot à ton avis ?
Les Mexicains bien sûr.
Tu peux aller dans les exploitations tu verras.
Le seul Américain c’est le patron.
De l’autre côté de la frontière il y a la faim, ici il y a le besoin de bras.
Et malgré tout l’autre veut faire son mur.
Il est prêt à mettre 25 milliards de dollars pour ça.
Ay El Trump, El Trump.
C’est grave ce qu’il fait.
[ … ]
Le géant du racisme dormait tranquillement, il l’a réveillé.
J’avoue avoir craint au début de ma lecture que Coyote ne soit qu’une compilation de paroles recueillies. Il n’en est rien. Tout au long de son récit, Sylvain Prudhomme nous fait vivre au rythme de son voyage, de ses réflexions sur ce qu’il voit, entend, des longues rêveries accompagnant les heures d’attentes. Il a préparé son voyage en lisant et en visionnant une grande quantité de livres et surtout de films liés à cette frontière américano-mexicaine, à l’auto-stop : Sicario de Denis Villeneuve, Paris Texas de Wim Wenders, Macadam à deux voies de Monte Hellman … Tout au long du récit, il n’aura de cesse de partager avec nous la confrontation de cet imaginaire qu’il s’est construit avec ce qu’il observe.
J’aime lire Sylvain Prudhomme. Son roman Par les routes (Gallimard, 2019) est un de mes grands coups de cœur. J’ai dégusté avec plaisir chacune des nouvelles de son recueil Les orages (Gallimard, 2021). Ce récit, Coyote, je l’ai trouvé singulier et passionnant. Lisez-le. Vous saurez alors pourquoi il s’intitule Coyote – je n’allais pas tout vous révéler, n’est-ce pas ?- Il est temps pour moi de faire comme Sylvain Prudhomme dans la restitution de chaque échange, m’effacer pour laisser toute sa place à la parole des personnes rencontrées. Cet extrait est encore de José, qui s’extasie devant la beauté de l’Arizona :
Ay, Silvano !
Regarde ces couleurs sur le désert.
Regarde comme c’est beau.
On a le coucher de soleil pour nous.
Tu veux que je te dise mon avis ?
On a eu du bol de naître dans cette vie.
? Que dices de la vida : bonita non ?
Elle est belle mais elle est courte, il faut la vivre bien.
Suavemente.
Doucement.
Avec art.
Eric, juillet 2025
Coyote, Sylvain Prudhomme, Editions de Minuit, octobre 2024