Autour de la table ronde : Paul LYNCH, Leïla SLIMANI, Lauren GROFF, Djamila RIBEIRO. Modeste capture d’échanges très nourris sur le thème de la liberté, en toute subjectivité…
Paul LYNCH présentait son dernier roman Le Chant du prophète lors du festival et ce fut l’occasion pour lui de livrer l’intention qui y a présidé : « montrer ce que l’on prend pour acquis : la civilisation, la liberté », montrer la « fausseté dangereuse » de cette croyance, de cette incroyable méprise.
Comme son héroïne Eilish, en proie à une toute nouvelle « police secrète » et à la disparition concomitante de son mari, « tous, nous sommes en train de nous dire que l’on verrait les signes » d’un éventuel basculement si basculement il devait y avoir un jour… Or, telle la grenouille dans sa marmite, non seulement nous ne voyons les signes qui menacent notre liberté que bien après qu’ils se soient produits mais plus encore, comme Eilish, « on ne veut pas croire que ce qui arrive est vrai ». Pour P. LYNCH, « on construit la réalité à partir de nos croyances, c’est ce que l’on fait, tout le temps ». Autant dire que notre déni est la première menace de notre liberté et que même après, une fois le déni dépassé, « nous restons embringués dans le fil de nos vies » et de leurs obligations qui nous empêchent d’agir. A la question de savoir si le personnage d’Eilish doit partir ou rester, la réponse de LYNCH est claire, « on n’a la liberté de partir que quand on nous a tout retiré ». Et ce constat fait écho à une citation entendue autour d’une autre table ronde avec Mathias Enard qui citait la poétesse péruvienne Blanca Varela : « Là où tout s’achève, déploie tes ailes ».
Vision apocalyptique ou simplement réaliste d’une liberté que l’on n’arriverait à exercer que lorsqu’elle nous est ravie et que l’on est dépossédé de sa vie. En écho, Lauren GROFF dont on vous reparlera (lire le récent article des Liseuses sur son dernier roman Les terres indomptées), qui tient dans l’Etat de Floride une librairie où l’on peut se procurer les plus de 10 000 ouvrages qui y sont interdits (citons par exemple les auteures Toni Morrison, Margaret Atwood et Lauren Groff dont les ouvrages ont l’honneur de faire partir de la liste), répondait « je suis blanche, je suis éduquée, si je ne lutte pas, qui luttera ? »
Et Leïla SLIMANI de citer Erri de LUCA « Il faut se méfier du passé bien plus que du futur parce que le passé n’arrête pas de changer ». N’est-ce pas le sens profond de ce qui est en train de se jouer aujourd’hui tant en Russie qu’aux USA, une tentative de réinterprétation du passé, la tentative de faire le tri des récits et des hommes pour n’en conserver qu’une partie ? A la question de savoir ce que la littérature peut face à cela, la réponse de P. LYNCH, simple et immuable : « la vie se déroule dans l’obscurité, on ne peut pas lire notre vie ou alors à la toute petite lumière d’une allumette comme disait Virginia Woolf. On écrit pour augmenter la flamme ».
France, le 12 juin 2025