Les éditions Hervé Chopin fêtent leurs 20 et 30 ans. En effet, Hervé Chopin a commencé son activité d’éditeur à 22 ans tout en ayant une autre activité alimentaire à côté. Puis 10 ans plus tard, sous l’impulsion de son épouse, Isabelle, ils ont décidé de consacrer 100 % de leur temps à ce métier.
Une belle occasion pour les rencontrer et savoir un peu mieux comment fonctionne une maison d’édition indépendante.
Hervé Chopin, qui était collectionneur de cartes postales, a commencé avec une collection d’illustrés : Images d’antan.
L’idée est de faire un voyage dans le temps à la belle époque, qui est la période phare de la carte postale. C’est une collection qui continue à exister car elle fonctionne bien. Un texte historique, informatif et accessible qui répond aux questions que peuvent poser les cartes postales. Il existe environ 130 parutions, et comme cela marche bien nous avons ouvert d’autres collections sur le patrimoine et la culture, des monographies de peintres, d’artistes, designers, sur les monuments historiques des différents départements.
Leur ligne éditoriale
Isabelle avait une appétence très forte pour la littérature. La rencontre d’auteurs de romans historiques leur a donné envie de se lancer dans ce secteur. Leur coup d’essai avec « Les Borgia » de Claude Mossé sorti en 2011 a très bien fonctionné. Puis, lors du salon à Francfort, ils ont rencontré des auteurs étrangers. C’est ainsi qu’ils ont découvert JR Dos Santos qui était publié dans 18 langues mais pas encore en français. À partir de 2012 il est publié aux éditions Chopin et c’est un véritable succès.
Leur catalogue est composé de romans de littérature générale, d’illustrés, de polars, de romans historiques mais si l’on devait définir leur ligne éditoriale ce serait leur volonté d’éditer des ouvrages où l’on apprend quelque chose et qui laissent une trace.
Une lecture qui permette de changer son regard : c’est ce qui lie chacun des livres que nous choisissons d’éditer. Être éclectique c’est être curieux de tout, cela nous correspond
Qui fait quoi ?
Après avoir commencé à Paris, c’est sur Bordeaux qu’ils ont décidé de venir s’installer en 2017.
Au début nous n’étions que tous les deux et c’était facile : Isabelle faisait les livres et Hervé les vendait !
Actuellement c’est une équipe de 8 personnes qui soutient ce couple passionné dans leur maison d’édition. Ils ont une équipe éditoriale composée de deux éditrices qui travaillent avec Isabelle, une directrice commerciale qui travaille avec Hervé, deux personnes qui s’occupent de la partie communication, salon, signature qui est de plus en plus importante et une autre qui gère tout le back-office. Une alternante qui aide la directrice commerciale et s’occupe des réseaux sociaux. Il y a également une graphiste maquettiste indépendante mais qui travaille à 100 % pour eux.
La sélection des manuscrits
Comme les libraires, ils considèrent qu’il y a une surproduction de livres et ils ont fait le choix de ne publier que 10 à 12 livres par an. Or ils reçoivent quinze à vingt manuscrits par mois.
Pour ne pas décevoir les gens qui attendent une réponse et comme nous n’avons pas le temps de tout lire nous avons pris la décision d’indiquer sur notre site internet que nous ne pouvions plus recevoir de manuscrit. Comme on suit nos auteurs qui ont du talent, on rentre peu de nouveaux auteurs.
J’ai demandé à Isabelle, quels étaient les défauts les plus fréquents des manuscrits qu’elle recevait :
Très souvent c’est l’écriture, le style littéraire. Soit c’est très scolaire et on s’ennuie, du coup on ne tourne pas les pages. Soit ce n’est pas maîtrisé en terme syntaxique ou grammatical. Cela peut être rempli de fautes d’orthographe. Si on tourne les pages et qu’on a envie de lire la suite c’est en partie gagné. Il peut arriver aussi que l’on aille jusqu’au bout et trouver que c’est dommage car le sujet y était, l’écriture aussi mais c’est la construction de l’histoire qui pêche (manque de profondeur, les personnages ne sont pas campés, on ne s’y attache pas, l’histoire et soit trop complexe ou pas assez). De plus nous avons nos critères : il faut laisser une trace dans l’esprit des lecteurs, pour nos romans historiques il faut apprendre quelque chose, dans nos polars, ils sont souvent sociologiques, on ne cherche pas des scènes violentes juste pour la violence, l’idée c’est de vraiment réfléchir sur la société et d’apprendre quelque chose. Je peux lire quelque chose de très bien construit mais si cela n’a rien changé en moi et que j’ai oublié l’histoire deux jours après, alors c’est un roman qui ne nous intéresse pas, qui ne rentre pas dans notre ligne éditoriale.
L’équipe éditoriale lit en priorité des manuscrits qui leur sont proposés par des agents, des confrères.
C’est pratiquement toujours par des rencontres, par nos réseaux que l’on découvre de nouveaux manuscrits et c’est ce que nous lisons en priorité
Pour les romans étrangers qu’ils éditent, c’est au salon du livre de Francfort en octobre, grand-messe de l’édition mondiale, que sont finalisés les contrats avec les agents littéraires. La « Buchmesse » réunit tous les éditeurs du monde. Il y a un étage entier avec 400 tables pour pouvoir faire des speed dating entre agents littéraires et éditeurs, où les agents pitchent pendant 4 jours devant les éditeurs du monde entier les livres qu’ils défendent.
C’est ainsi qu’Isabelle a rencontré l’agent littéraire qui défendait les livres d’Annabel Abbs. Elle a fait appel à des lecteurs (qui souvent sont des traducteurs qui travaillent pour eux). Lorsqu’un livre l’intéresse, elle leur demande de le lire et de lui dire ce qu’ils en pensent.
Il faut être joueur car c’est une vraie découverte lorsque je reçois le livre traduit. C’est un pari fait en amont car à ce moment-là, on a déjà payé le traducteur et l’éditeur étranger.
Isabelle n’a pas de méthode de lecture particulière. Impossible de faire de la lecture rapide pour le travail éditorial car au contraire il faut aller lentement, décrypter, noter. Pour le travail de préparation de copies qui intervient juste avant de mettre en page, là encore il faut être hyper vigilant. Pour les manuscrits, il faut se mettre dans la peau du lecteur et se dire « est-ce que je suis emportée par l’histoire, est ce que ça m’émeut ? ».
Ce métier est fait de hauts et de bas car ils ne vendent pas à 100 000 exemplaires à chaque fois. Il faut réussir à avoir une régularité pour tenir.
Notre priorité est de préserver toujours le plaisir et l’envie. Être éditeur, c’est prendre des risques car il faut miser sur un auteur, sur un texte, et se dire « j’y crois, ça va marcher ». Les trois quarts du temps, c’est dur. Quand on réussit c’est génial et ça nous pousse à continuer, mais il y a toujours des frustrations pour des textes superbes qui n’ont pas trouvé leur public. Il faut que je sois capable de défendre avec mes tripes n’importe quel livre de notre catalogue en l’imaginant comme si c’était un futur best-seller.
Isabelle travaille sur le texte en amont avec les auteurs et ensuite il y a différentes étapes où chaque éditrice de l’équipe intervient (la préparation de copies, la première lecture, la seconde lecture…). Chaque livre est relu 4 fois.
Six mois avant publication, ils référencent leurs titres dans les différentes bases de données bibliographiques et chez leur diffuseur. Puis, ils présentent leur programme aux différents directoires des ventes du diffuseur en leur donnant des objectifs.
Pour chaque livre ils mettent énormément d’énergie et y passent beaucoup de temps. Il y a un gros travail éditorial en amont et en aval.
La condition indispensable pour qu’un auteur soit publié chez nous, c’est qu’il accepte d’échanger. Il se peut qu’un auteur ne veuille pas que l’on bouge la moindre virgule, je peux le comprendre si éventuellement c’est parfait. On s’est rendu compte que les auteurs qui étaient les plus ouverts aux échanges sont souvent les plus talentueux. C’est leur intelligence et leur humilité qui leur permettent de comprendre qu’il y a des sensibilités différentes, que notre métier d’éditeur est différent de leur métier d’auteur, et souvent ils aiment entendre ce que nous avons à leur dire.
Il peut y avoir des anachronismes ou des incohérences dans l’histoire qui sont minimes, c’est leur travail de base d’aller vérifier les détails d’une histoire, de faire remarquer lorsqu’un personnage mériterait d’être plus développé ou d’éviter les « tunnels », c’est-à-dire les périodes où l’on s’ennuie. Ils peuvent travailler avec l’auteur sur le rythme, sur l’installation des personnages, sur l’intrigue.
Cela ne signifie pas que nous considérons avoir la vérité, nous pouvons nous laisser convaincre par l’auteur
Le travail d’accompagnement des auteurs, c’est aussi gérer toute la logistique, billets de train, hôtel pour les déplacements en librairie ou sur les salons.
Isabelle et Hervé m’ont beaucoup parlé de leurs auteurs, de leurs traducteurs, de leurs salariés. Isabelle m’a pitché les livres, Hervé l’accompagnait au point que leurs réponses devenaient chorales. J’ai préféré mettre l’accent sur leur vocation et toute la complexité de leur métier plutôt que de vous parler des auteurs qu’ils éditent (vous en saurez plus dans de prochains articles). Tous les ans Livre Hebdo publie un classement des éditeurs. Saviez-vous qu’il y a plus d’éditeurs en France que de libraires ? 4500 éditeurs et 1200 libraires de premier niveau. En 2024 en France, sur 4500 éditeurs, les Editions Hervé Chopin étaient à la 74ème place et encore indépendants. Je leur souhaite de fêter encore de nombreux anniversaires !
Babeth, décembre 2024