Des libraires à l’honneur : Clotilde et Marion au Vrai Lieu, à Gradignan

La librairie « Espace livre » à Gradignan a changé de propriétaires l’été 2021 et est devenue « Le Vrai Lieu ». Ce sont deux jeunes femmes dynamiques, Clotilde Papinot et Marion Spaier qui ont repris avec leur énergie positive ce lieu que tous les Gradignanais souhaitaient conserver. Clotilde a accepté de répondre à mes questions, Marion n’étant pas présente ce jour là mais, comme elle le dit,  » Rien n’empêche que vous ne croisiez que l’une d’entre nous : nous sommes un binôme bien rôdé, rencontrer l’une, c’est rencontrer l’autre !« 

Comment vous êtes-vous connues ?

Clotilde, de la librairie Le Vrai Lieu, répond aux questions des Liseuses de Bordeaux
Marion de la librairie Le Vrai Lieu

Nous nous sommes rencontrées à la librairie Gallimard boulevard Raspail à Paris, où nous avions des postes importants. Nous formions un très bon binôme en littérature. Après les grèves et le confinement, on a trouvé que c’était le moment de partir et monter notre propre librairie. Nous avons vu l’annonce pour reprendre celle de Gradignan. Après une longue période de négociation, nous avons eu les clés fin juillet.

Pourquoi avoir choisi Gradignan ?

On cherchait à se rapprocher de nos familles (Marion vient de Charente et Clotilde des Landes). Côté confort de vie, Paris n’était plus vivable, et on avait besoin aussi d’un nouveau challenge. Nous sommes des femmes d’action !

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Nager vers la Norvège : entretien avec Jérôme Leroy

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Nager vers la Norvège (Editions la Table ronde, 2019)

Il y a beaucoup de nostalgie dans la poésie limpide et simple de Jérôme Leroy. L’auteur livre ses moments de grâce, ceux qui font le plaisir d’être au monde malgré tout, malgré le monde qui débloque, l’amour qui fait mal, malgré la mort qui approche (comme chacun sait mais lui davantage encore). Il pratique l’optimisme du désespéré ou le désespoir de l’amoureux de la vie. Comme si, assis dans l’obscurité d’une chambre aux fenêtres closes, il voyait la vie lui faire des clins d’œil dans l’embrasure de la porte et ne résistait pas à l’envie de lui sourire. C’est une cueillette de trésors fragiles : l’odeur du jasmin vers une heure de l’après-midi, Vivian Leva chantant Why Don’t You Introduce Me as Your Darlin’, les couvertures du « Carré noir » et ses filles nues, les gros livres de poche tout neufs, une copie d’école vieille de 36 ans retrouvée dans un carton…  Il y a aussi les amis bien sûr et l’amour peut-être… 

Une poésie qui vous montre ce qui est beau et vivant autour de vous. 

Avec la même générosité et la même simplicité qu’il met dans sa poésie, Jérôme Leroy a accepté de répondre aux questions d’Isabelle.

Vous évoquez souvent les années 70, à travers le souvenir d’objets, de livres, de chansons, d’émissions de radio. Ce sont les années de votre adolescence et de votre jeunesse, un temps dont vous semblez regretter la fraicheur et les promesses d’avenir. Les objets sont des tremplins pour la mémoire, comme si le passé n’est finissait pas de passer. La nostalgie semble être un des moteurs de votre écriture…

C’est tout à fait juste. Mais il faut savoir de quelle nostalgie on parle. Il ne s’agit pas de se complaire dans le passé. J’ai aussi des poèmes qui célèbrent le bonheur d’être au monde. Non, il s’agit plutôt d’une nostalgie active. La nostalgie, pour moi, c’est un mode de connaissance du monde, des choses, des autres et de soi-même. C’est une espèce de baromètre qui permet de mesurer le temps qui passe et de savoir comment il passe. La nostalgie, c’est une météo intime. 

En plus, il me semble effectivement qu’il y a un monde d’avant et un monde d’après, que les choses changent objectivement dans les années 80 pour des raisons historiques et politiques. Je suis né dans les années 60, j’ai été adolescent dans les années 70 et je regrette cette période pas simplement parce que j’étais jeune mais parce qu’il me semble objectivement, encore une fois, que les paysages étaient moins abîmés, que les rapports humains étaient moins violents, moins soumis à la compétition, que les gens pouvaient encore vivre dans les villes et non dans des zones périphériques sans âme, que les gens se parlaient sans avoir besoin des réseaux sociaux. Cette période me semble comme une Atlantide, c’est autant un lieu qu’une époque qui me manquent.

Vous écrivez des recueils de poésie mais aussi des romans noirs. Vous avez publié très récemment Lou après tout, tome 1 : le grand effondrement aux Editions Syros, une dystopie pour les ados et jeunes adultes. Roman noir et poésie sont deux pans de la littérature a priori éloignés. Quels rapports le poète en vous entretient-il avec l’écrivain de romans noirs ? Et vice versa ?

Effectivement, je crois que c’est un a priori. Poésie et roman noir sont beaucoup plus liés qu’on ne le pense en général. Un grand nombre d’auteurs de romans noirs sont aussi des poètes. Je pourrais vous citer, aux USA, Ron Rash, James Sallis, Richard Hugo ou, en France, des gens comme Léo Malet qui fréquentait les surréalistes ou plus récemment, Marc Villard. Sans compter Edgar Poe notre maître à tous qui a inventé le roman noir, le roman à énigmes, qui a renouvelé la littérature fantastique et qui est aussi connu pour son œuvre poétique! Je crois que dans les deux cas, poésie et roman noir, il y a une certaine école du regard. Le poète et l’auteur de roman noir font la même chose, il change d’angle de vue, il cherche à voir au-delà des apparences, ils sont dans une démarche du dévoilement…

Un de vos poèmes commence par ces mots « Vieillir c’est devenir aussi joyeux qu’un préfixe privatif ». Dans un autre vous listez 18 façons de cultiver l’insomnie (Il ne dort pas). Vous pratiquez beaucoup l’humour désespéré… Est-ce une manière privilégiée de conserver « le plaisir d’être au monde malgré tout » ?

Je ne pense pas non plus que la poésie ne puisse pas faire bon ménage avec l’humour ou l’autodérision. Je suis un grand amateur de cinéma italien précisément parce que c’est un cinéma qui sait faire se côtoyer l’émotion et le rire. Rien ne me semble plus gênant, dans une certaine poésie contemporaine, que cette manière froide de prendre la pose, d’intellectualiser systématiquement… Je préfère une poésie avec des gens dedans, des goûts, des saveurs, des couleurs. La poésie n’est pas là pour intimider, elle est là pour rencontrer l’autre, et à travers cette rencontre, établir une forme de communication avec un lecteur auquel on dit: « Tu vois, toi et moi, on se ressemble. »

Propos recueillis par Isabelle, août 2019

Negar Djavadi : une femme libre

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Négar Djavadi vient de recevoir le prix Lire en poche de littérature française 2018 pour Désorientale. On entend un cri dans la salle lors de la remise du prix au Théâtre des Quatre Saisons à Gradignan : c’est moi. Je suis heureuse. Comme beaucoup, j’ai été bouleversée par ce roman. Ce n’est pas la première fois que je la rencontre, mais je n’avais jusqu’à présent jamais osé lui parler. Cette fois-ci, j’y vais car je veux savoir comment son métier et sa vie s’entremêlent à l’écriture. 
Négar est scénariste. Ça l’occupe à plein temps, alors l’écriture de son roman s’est faite très tôt le matin, dès le réveil. Ça ne lui coûte pas de travailler tôt. Elle prend des notes à la main sur ses cahiers, mais la rédaction se fait toujours sur ordinateur. La journée, elle travaille sur plusieurs projets de scénarios.
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« On peut écrire le scénario, ou juste faire un résumé, ou faire une correction. Le métier de scénariste, c’est une autre forme d’écriture, on est moins libre.On écrit forcément pour une industrie (cinéma, tv, …). Dès l’écriture, il faut avoir conscience de ce que ça va coûter. Faire tomber un frigo du quatrième étage ça implique des contraintes. Contraintes de décor, de personnages. Une fois que l’on a écrit un scénario, cela part dans d’autres mains et ça devient un film. »
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Pour elle, il faut être très organisé quand on est écrivain, c’est une discipline. 
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« Pour un roman, personne ne vous attend. Les scénarios, c’est beaucoup de contraintes. Dans l’écriture du roman je me sentais tellement libre en comparaison que je me suis permis de mettre des slashs entre les mots sans réelle raison : une totale liberté ! Et puis il faut se donner du temps pour lire aussi. Théorie/analyse/pratique : j’ai toujours appris ça dans le cinéma. Il faut lire, puis analyser ce qu’on lit, pourquoi ça nous touche, et après on passe à la pratique. »
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Avec son roman Désorientale, elle était la réalisatrice de cette histoire. 
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« J’ai mis quelques gros plans, quelques travellings, quelques zooms. Je suis incapable d’écrire si je ne vois pas. Pour mon roman, je ne savais pas où j’allais. Je n’avais pas fait de plan, ce n’était pas prémédité. Je savais grosso modo qu’il y aurait deux parties, la France et l’Iran. Je savais qu’il fallait que je remonte très loin parce que j’avais beaucoup à dire sur l’Histoire de l’Iran. J’étais confrontée au problème de l’histoire avec un grand H en toile de fond et les personnages, mais comment faire le lien ? A un moment donné j’ai décidé que chaque personnage porterait un point de l’histoire de l’Iran, qu’il y aurait une sorte de collision entre un moment de l’histoire et ce qui arrive à ce personnage. Par exemple pour Montazemolmolk c’était la révolution constitutionnelle de 1904. »
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Si elle n’avait pas été scénariste, elle ne sait pas si elle aurait osé relever le défi de faire des flash-back.
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« Nous avons des techniques d’écriture particulières quand on est scénariste. En scénario par exemple, lorsqu’on passe d’un personnage à un autre, on fait en sorte que ce soit un moment très fort pour qu’on ne l’oublie pas. On peut mettre du dramatique mais il ne faut pas que ce soit gratuit. Tout doit être construit autour. »
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Pendant l’interview, des lecteurs s’approchent les yeux brillants, avec ce besoin de lui dire, comme moi, combien Désorientale nous a ému. La réussite de ce livre est sûrement, en partie, liée à sa construction qui nous fait vivre les EVENEMENTS comme dans un film. Encore une belle rencontre.
Merci Lire en poche !
Babeth, 20 octobre 2018