
Homo vient d’humus. Homo vit d’humus. Puis Homo a détruit humus. Et sans humus, pas d’Homo. Simple.
Voilà qui donne à la fois le titre, le sujet et le ton du dernier roman de Gaspard Koenig paru aux éditions de l’Observatoire et récemment disponible en format poche.
Au fil de cette tragi-comédie aux accents balzaciens nous suivons les aventures d’Arthur et de Kevin, deux jeunes étudiants à AgroParisTech où ils connaissent une épiphanie en sortant d’un cours sur les lombrics donné par un vieux professeur. A la suite de Darwin celui-ci démontre que les vers de terre permettent par leur travail de labour la transformation d’un sol moribond en une terre régénérée ce qui suffit à convaincre nos deux héros qu’il est urgent d’agir.
Ce roman à la fois roman réaliste, roman d’idées et roman d’apprentissage plonge le lecteur dans l’actualité écologique et conduit les deux agros à agir dans deux directions de plus en plus opposées au cours de l’action. L’un s’engage dans la voie de la technologie, l’autre dans celle de la néo ruralité et tous deux connaissent parfois sur le mode de la farce un certain nombre de revers.
Avec beaucoup de drôlerie qui n’évite parfois pas le sarcasme quand il s’agit d’épingler les tartuffes de l’agro-industrie, Gaspard Koenig mène une analyse sérieuse sur l’état d’une terre (celle qu’on cultive) de moins en moins en capacité d’être nourricière. C’est ici que se rejoignent ses qualités de conteur et de penseur. Sur un ton délesté de toute volonté de faire la leçon, l’auteur nous apprend avec force détails documentés l’importance vitale du ver de terre et de quelle manière lui rendre toute son utilité. Bien entendu nos deux personnages se prennent de plein fouet le mur de la réalité qui met en avant et leur candeur et leur ubris. La complexité du monde sous sa forme politique, économique, agronomique et légale met à mal la confiance d’Arthur le néo rural et se joue du détachement parfois lâche de Kevin, sorte de dupe consentante au cynisme et au mensonge des financiers et des capitalistes soi-disant verts. Le récit comme modelé dans la matière : l’humus, matrice originelle, ne manque ni de chair ni de sensualité ainsi la longue description de la copulation lombricienne dont le spectacle amène Arthur à s’unir à son tour à la terre : « Arthur se déculotta alors d’un geste hâtif et fourra son sexe directement dans le sol meuble du potager. Il sentit contre lui le grain humide de la terre. Plus aucune image ne lui traversait la tête. Il était en pleine extase chtonienne » sans compter les appétits sexuels mécaniques de Philippine l’associée de Kevin et les extases écologistes d’Anne la compagne d’Arthur.
Si le lecteur est invité à s’amuser et à s’émouvoir des aventures de ces deux garçons qui expérimentent non seulement de possibles solutions à la crise écologique mais aussi des situations intimes telles que l’amour, l’amitié et l’engagement jusqu’à la radicalité, il est aussi appelé à s’immerger dans une langue poétique porteuse de visions.
Relié au monde par les ondes et la lumière, Arthur connaitra ainsi, par bribes, les mutations d’Homo sapiens. Passeront tour à tour à ses pieds les guerriers surarmés protégeant l’eau et le grain, les errants faméliques sevrés de carbone, les druides néopaïens adorant Gaïa, les enfants aux grands yeux et aux pieds plats jouant dans la paix du village, les Minotaures et les centaures mêlant la bête et l’homme
Véronique, octobre 2024
Humus, Gaspard Koenig, éditions de l’Observatoire, août 2023
J’avais beaucoup aimé ce récit qui m’a ouvert à l’importance des vers 😉
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Merci pour ce retour 🙏
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