Samedi dernier, l’écrivain franco-togolais Kossi Efoui était à la Villa Valmont à Lormont dans le cadre du Festival Lettres du Monde, interviewé par l’auteure Ysiaka Anam, avec la collaboration de l’association MC2a (Migrations Culturelles aquitaine afriques). Mais c’est en fait à bien plus qu’une interview que s’est livrée Ysiaka Anam en joignant le geste à la parole, dans un face à face intense et authentique avec l’auteur d’Une magie ordinaire. Un audio spectacle monté à partir de « voix du passé » ponctuait les questions d’Ysiaka Anam à Kossi Efoui afin de le ramener aux racines de son écriture, racines poétiquement matérialisées par du sable égrené au sol symbolisant le parcours de l’auteur du Sud (le Togo) vers le Nord (la France).
Ce dispositif a permis de faire émerger des paroles très fortes, l’écrivain évoquant ainsi « l’expérience politique intérieure » qu’avait représenté pour lui enfant la prise de conscience de l’égalité de l’éwé (sa langue maternelle) et du français. Puisqu’il pouvait expliquer le soir à sa mère en éwé tout ce qu’il avait fait et appris la journée en français, puisqu’il pouvait « circuler » d’une langue à l’autre sans manquer de mots en éwé alors il prit conscience que rien ne justifiait de rabaisser, déconsidérer la langue maternelle comme cela était prôné et imposé à l’école.
De sa mère justement, sujet de son roman Une magie ordinaire, il dira que son travail d’écriture théâtrale et romanesque lui est intimement lié. La source de son écriture, c’est sa mère qui ne sait ni lire ni écrire, qui ne connaît pas le français, mais qui chantait, des chants toujours changeants et différents comme le sont les différents moments de la journée. Une poésie du quotidien qui la traversait et donne l’occasion à l’auteur de rappeler la force de ce pouvoir d’évocation, en témoignent les esclaves femmes et hommes qui, dépossédés de tout, ont créé avec leur seule voix rien moins que le blues sur quoi repose toute la musique populaire contemporaine.
Ce rappel était aussi pour lui l’occasion de dire la force du dit, du chanté, de l’oralité qui ne laisse pas d’empreinte comme l’écrit mais n’en constitue pas moins une forme de rapport au monde équivalente, une forme plus directe derrière laquelle peut-être même court l’écriture ? Dommage de ne pas avoir pensé à lui poser la question…
Cette rencontre fut en tout cas pour un public enthousiaste une expérience à la fois sincère et poétique, réellement inspirante, occasion pour l’auteur de nous délivrer encore un autre message fort : l’acte d’écrire est une expérience fondamentalement poétique même lorsqu’on n’écrit pas de poèmes.
Il nous tarde déjà de revenir à la Villa Valmont.
France, novembre 2023