Le démon de la colline aux loups, de Dimitri Rouchon Borie

La Colline aux Loups j’aime pas en parler d’habitude. Le Démon est né là et c’est là qu’il m’a pris. Mais si je devais taire tout ça à jamais j’aurais l’impression qu’il a volé mon âme pour de bon et bien plus encore mon histoire. J’espère que vous saurez vous montrer miséricordieux ou quelque chose comme ça parce que j’ai un parlement qui est à moi et pendant tout ce temps ces mots c’était ma façon d’être moi et pas un autre.. 

De tous les livres autour de la maltraitance et des violences infantiles, celui-ci a été le plus difficile à lire. Il renvoie une réalité insupportable, étouffante d’un être humain à jamais morcelé et avili par son histoire familiale d’une violence sans nom.

Il m’a fait écho au trois interdits fondamentaux de Sigmund Freud, le fondateur de la psychanalyse. Ces trois tabous universels forment le socle des conditions d’existence d’une société : le cannibalisme, l’inceste et le meurtre. La notion de tabou, qui est notamment employée en ethnologie, intègre une dimension morale et/ou religieuse : c’est un interdit touchant au sacré, et dont la transgression peut parfois entraîner des sanctions, mais surtout la fin d’une civilisation.

Duke est en prison, il arrive au bout de son chemin et décide de se repentir, de se libérer de son passé et de son démon. Il raconte son histoire et essaie de comprendre son destin en s’appuyant sur les écritures saintes.

Duke grandit sans repères, sans nom, avec ses frères et sœurs. On retrouve une forme d’animalité dans sa façon de vivre, se nourrir et se mouvoir dans l’espace. Les enfants mangent au sol dans une assiette commune, ils dorment en boule les uns contre les autres à même le sol, ils ne connaissent ni leur nom, ni leur propre visage, et doivent être reclus dans une pièce. Ils s’expriment difficilement et de manière non verbale et sont privés de toutes formes d’éveil. Les parents représentent tout ce qu’on peut imaginer d’inhumain. L’entrée à l’école de Duke, concomitante avec la montée en puissance des violences paternelles contre ce fils, bouleverse la vie de cette fratrie. Duke, victime de violences aggravées fini placé dans une famille d’accueil et séparé de sa famille et notamment de sa sœur ainée Clara, avec qui il avait un lien fort et protecteur. Séparé de ses tortionnaires, il essaie de vivre normalement chez Pete et Maria, une famille d’accueil aimante mais son «  démon » le rattrape.

Je leur ai écrit le secret du Démon et que c’est mon père qui me l’avait refilé comme la vermine et que je devais les protéger de tout ça et j’espérais qu’ils trouvent un enfant qui sera bon pour eux toujours et qu’ils ne devaient pas  s’en vouloir eux ils n’auraient rien pu faire de plus pour moi il faut accepter que des choses nous dépassent

Cette notion de Démon est omniprésente dans le livre. Il évoque une noirceur, une ombre que Duke possède en lui. Il tente de lutter, de s’en arracher mais il ne peut s’en déposséder tant cela fait partie de lui. Sa vie durant, il avancera en « boitant » et n’arrivera jamais à se décoller du danger et de la violence qu’il représente et qu’il côtoie.

On meurt par la faim, on meurt par la soif, on meurt par la douleur, on meurt par amour. C’est le livre sur le Purgatoire qui le dit je crois c’est une dame qui l’a écrit je ne sais pas si elle est connue. J’ai bien lu quand elle parle de la souffrance qui est un moyen de mort et c’est vrai. Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. Et cette mort profonde c’est elle qui est en train de monter en moi et de conquérir tous mes organes je le sais je ne peux que l’accepter et c’est ainsi. Et c’est aussi sans doute ma souffrance qui a fait le lit du Démon et qui a causé la mort à tous ces gens que j’ai tués… je n’ai plus rien désiré quand j’ai tout perdu.. 

Le roman est écrit à la première personne, comme un journal intime et avec style d’écriture simple et sans ponctuation. Duke s’exprime avec « un parlement » propre,  proche d’une forme de déficience légère. Son passé traumatique a grandement altéré sa construction psychique, son rapport à l’autre et sa perception du monde.

Le livre est d’une grande sensibilité, extrêmement touchant et juste. L’histoire de Duke secoue et bouleverse car chacun est porteur d’une histoire familiale qui lui est propre et qui en fait l’adulte qu’il est aujourd’hui. Et cela pousse à se questionner toujours un peu plus sur la tolérance et la bienveillance dont on fait preuve face à autrui.

L’auteur, Dimitri Rouchon Borie est journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Le démon de la colline aux loups est son premier roman. « Ecrire, c’est l’art de survivre en territoire hostile » dit-il. Il explique qu’il ne pouvait plus rester à la merci de l’absurdité des affaires jugées, de l’irrationalité des actes et de ces silences et questions. Il fallait créer, recréer, oublier les personnes pour accueillir des personnages. Imaginer, par empathie, l’histoire des accusé·e·s lui permettait de les reconnaître comme des semblables. Écrire pour rendre à toutes ces femmes et à tous ces hommes une part d’humanité. 

Pauline, novembre 2023

Le démon de la colline aux loups, Dimitri Rouchon Borie, Editions Le Tripode – première édition en 2021

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