
Lorsqu’un éditeur féroïen publia en 2005 Les collectionneurs d’images, le troisième roman de Jóanes Nielsen, le roman féroïen fêtait tout juste ses cent ans d’existence. D’abord possession norvégienne, puis danoise, les Îles Féroé sont parvenues à affirmer leur indépendance culturelle au début du 19ème siècle. La langue féroïenne s’est alors imposée à l’écrit dans les décennies qui suivirent, marquant la naissance de la littérature de ce territoire insulaire situé au milieu de l’Atlantique nord.
C’était un matin froid au ciel dégagé. Sur les hauteurs, le sommet des montagnes rougeoyait et, à mesure que le soleil surgissait, la lumière coulissait prudemment sur le versant et les hauts rochers. Parfois, elle semblait hésiter un peu, s’accrochait à un banc de brume, puis reprenait de la vitesse et poursuivait vers le bas.
Poète et romancier né en 1953, plusieurs fois récompensé, Jóanes Nielsen fait figure de digne représentant de la littérature féroïenne. Son roman Les collectionneurs d’images, profondément ancré dans l’histoire de ces Îles, retrace sur quarante ans le destin de six jeunes hommes de Tórshavn, témoins d’une société en recherche d’identité et de repères. Commençant à une époque où ce territoire gagnait en autonomie par rapport à la tutelle danoise, il prend fin en 1996, lorsque la société se relève tout juste d’une grave crise économique.
Enchevêtrement kaléidoscopique de vies, de personnages, de récits secondaires, Les collectionneurs d’images nous offre de très belles pages sur l’enfance et l’adolescence, l’apprentissage de la vie, l’éveil à la sexualité, sur la masculinité, sur la réflexion politique.
Madame Vivian était une des plus belles femmes qui soient. Et les jeunes garçons étaient attentifs à ce genre de choses. Elle n’était pas seulement la mère de Staffan. Elle avait également un émetteur qui diffusait sur la fréquence femme, et les récepteurs nouvellement éveillés des garçons recevaient les ondes venant d’une mèche de cheveu retombée sur le front ou de talons qui claquaient sur le plancher quand elle marchait, faisant trembler légèrement ses mollets, son postérieur et sa poitrine.
Enfin, cerise sur le gâteau, l’éditeur a eu la très bonne idée de proposer une postface éclairante sur l’histoire de la société féroïenne, à travers sa littérature et sa langue. Une belle façon de prolonger l’aventure.
Marisa, 3 mai 2021