Les évaporés

Les evaporés, de Thomas B ReverdyA tous ceux qui s’intéressent au Japon, à ceux que la survivance de traditions millénaires dans un pays à l’économie libérale et mondialisée fascine, le livre de Thomas Reverdy offre de nombreuses pistes de réflexion très instructives.

Mais, et son auteur l’affirme dans une interview donnée à des lecteurs, ce n’est pas un livre sur l’archipel nippon, même si le lecteur se voit projeté au cœur du Japon actuel, déstabilisé par le tsunami et la catastrophe de Fukushima, dont la présentation est très bien documentée.

Plusieurs récits s’entrecroisent en effet dans ce roman : c’est en même temps une histoire d’amour, le récit d’une quête existentielle où les thèmes de la fuite, du choix, de la lutte pour la survie sont récurrents, un roman policier avec pour décor un pays aux prises avec les conséquences d’une double catastrophe, naturelle et nucléaire.

Mais tout d’abord, à quoi renvoie le titre, Les évaporés ?

C’est le terme utilisé au Japon pour désigner les personnes qui ont choisi de disparaître. Ce sujet tabou est au cœur de la culture japonaise, la modernité n’y a rien changé. Celui qui fuit en ressent la nécessité parce qu’il a perdu la face dans une société qui demande toujours plus à ses membres et dont les enjeux le dépassent. Sa disparition ne donne lieu à aucune enquête de police, la famille subit en silence la honte de celui qui n’a pas été à la hauteur.

C’est ce qui est arrivé à Kaze, comptable sans histoires dans une grande banque de la capitale, et père de Yukiko. Celle-ci vit ou plutôt vivote depuis une dizaine d’années en Californie; elle veut découvrir la raison de la disparition de son père et demande à Richard, un ex-petit ami, détective privé de métier mais surtout poète dans sa manière d’être au monde, de l’accompagner au Japon et d’y mener l’enquête. Richard, toujours très amoureux d’elle, accepte et commence ses recherches dans un pays qui lui est totalement inconnu et dont la langue lui échappe complètement.  Sa quête va le conduire dans un quartier pauvre de Tokyo,  San’ya,  fréquenté par des journaliers, puis à Kyoto et enfin plus au nord, autour de Sendai, dans des camps de réfugiés de la catastrophe et d’ouvriers  oeuvrant dans la zone touchée par le tsunami.

Parallèlement à ce récit se déroule l’histoire de Kaze qui essaie d’élucider les raisons de son licenciement. Il rencontre un jeune garçon des rues, Akainu, rescapé du tsunami. Celui-ci, mû par une volonté émouvante de survie, se refuse à  se poser la question de savoir ce que sont devenus ses parents car il a trop peur de la réponse.

C’est donc sur fond de roman noir japonais qu’évolue l’histoire animée par plusieurs protagonistes.

Nous découvrons le Japon avec Richard dont le regard poétique, toujours en quête d’un détail insolite, s’attarde sur les tailleurs de pins, fasciné par leur méticulosité, repère le coussin sous le nœud du kimono, charmé par l’élégance de ces silhouettes d’un autre âge. Il absorbe la réalité japonaise à sa manière et lui donne parfois les contours du rêve. Son approche est  bienveillante et teintée d’ironie.

En contrepoint se dessine la face sombre du Japon qui nous apparaît lors des péripéties de Kaze et de son jeune compagnon. Il est alors question des Yakusas, la vieille mafia japonaise qui semble très puissante au Japon, de corruption des politiques, de malversations diverses. Au fur et à mesure que le récit progresse, l’horreur s’installe devant l’absence totale de considération avec laquelle sont traités les hommes, aussi bien le citoyen lambda que les déplacés de la catastrophe ou les ouvriers chargés de tout déblayer dans la zone de Fukushima.

L’auteur sait nous présenter la tragédie de toutes ces vies détruites et exploitées avec une sobriété poignante, de façon sensible et poétique. Pourtant, de ce noir tableau, la solidarité et l’humanité ne sont pas complètement exclues.

Au-delà de la peinture de la société japonaise apparaît un autre thème dans ce livre, celui de la fuite, de la disparition qui sous-tend l’existence de chacun des protagonistes : Yakuko a quitté le Japon, mais encore plus que la disparition de son père, c’est la recherche d’un sens à sa vie qui l’y ramène. Pour Richard, il s’agit d’une fuite en avant dans l’espoir de retrouver l’amour de son amie. L’espoir, la face cachée des probabilités le fait vivre.

Kaze et Akainu fuient tous deux par peur d’affronter quelque chose : les suites de son licenciement pour Kaze, mais celui-ci se raccroche néanmoins à la nécessité de savoir quels sont les enjeux qui sont à l’origine de sa perte et qu’il n’a pas su entrevoir. Akainu, lui, a peur d’affronter une réalité qui serait trop douloureuse pour lui.

Lorsqu’à la fin du livre, le lecteur quitte ces personnages, ceux-ci ne sont sûrs de rien, ils vont continuer Fà se débattre dans leurs interrogations et dans les difficultés de l’existence. « La vie est une douloureuse perte de contrôle » se dit Richard tout à la fin du livre. Toutefois Richard et Yukiko auront au moins fait un pas dans le sens de leur destinée.

Kaze, lui,  a fait un choix et entame le chemin vers une possible renaissance après avoir tourné le dos au passé : « je vais échapper à votre système, à votre Japon, dit-il à un shogun de l’ombre », cynique et indifférent.

Et cela, Richard le comprend lorsque, arrivé au bout de son enquête, il se trouve en face du père de Yukiko sans que celui-ci se doute de quelque chose : « Il cherchait un banquier qui avait disparu, mais c’est un autre homme qui réapparaît. » A-t-on le droit d’empêcher un être de disparaître si c’est ce qu’il désire ?

Beaucoup de choses donc dans ce roman.

Pour ma part j’ai davantage apprécié ce livre pour ce qu’il m’a fait connaître du Japon et surtout pour ce qu’il m’a  appris sur les suites de la catastrophe de Fukushima. Même si ceci n’est qu’un roman avec sa part d’imaginaire…  Mais souvent la réalité dépasse la fiction…

J’ai eu un peu de mal à m’intéresser aux personnages de Richard et Yakuko, à leur relation. Manque de présence charnelle, me semble-t-il. Le contre-coup d’une trop grande richesse de thèmes ?

Quoiqu’il en soit , Les évaporés est la première œuvre de Thomas Reverdy que je lis et sa lecture m’a donné envie d’en connaître d’autres.

Marie-France, 9 avril 2020

Vous voulez réagir à ce post ?

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s