Christine Angot, Flammarion, 2012
La lecture de ce roman qui affole les critiques littéraires s’avère éprouvante. La rédaction de Sud-Ouest le décrit comme « un mauvais porno », un autre critique a parlé de « tunnel de fellations », voilà qui donne le ton.
L’histoire : un père, la soixantaine, bourgeois aisé, érudit, fin gourmet, emmène sa fille d’une quinzaine d’années, en vacances près de Grenoble. En fait de découverte de la région, la fille n’aura droit qu’à une initiation brutale et obsessionnelle à la sexualité. L’auteur décrit avec une précision chirurgicale les gestes, les positions, les regards, les commentaires jusqu’à l’écoeurement. La relation est d’une extrême perversité et on assiste impuissant au supplice de la fille ramenée au statut d’objet de tous les fantasmes du père.
Le lecteur est placé dans une position inconfortable, forcément voyeur et en même temps témoin privilégié de la violence faite à l’intégrité de la jeune fille.
L’humiliation va crescendo jusqu’à l’ultime blessure, mécontent de ce qu’il attribue à une forme de rébellion, le père abandonne sa fille sur un quai de gare.
« Autour d’elle des gens vont et viennent. Elle s’assoit sur une chaise en plastique. Personne n’attend aussi longtemps qu’elle. Les gens mangent un sandwich ou un fruit avant d’aller prendre leur train. Elle a faim, mais elle n’a pas d’argent. Heureusement qu’à ses pieds, elle a son sac de voyage, qui est la seule chose familière de toute la gare. Elle le regarde. Et elle lui parle. »
Elle parle, infime espoir qu’elle puisse un jour advenir à sa place de sujet.
La force de ce livre est dans le fameux show don’t tell, images intolérables mais qui seules peuvent donner à sentir l’ampleur de la blessure qu’inflige l’inceste dont on sait qu’il sévit dans tous les milieux et souvent dans l’ignorance ou le déni.
On a parlé du courage de Christine Angot, qualité qu’elle réfute. Voici ce qu’elle en dit dans un entretien avec Isabelle Huppert publié dans les Inrockuptibles (n°881),
« Je fais ce que je peux et je ne peux pas faire autre chose. C’est pour ça que quand les gens viennent me dire que c’est courageux d’écrire ce que j’écris, ça me paraît complètement à côté. C’est absurde cette idée d’une pudeur qui serait surmontée par un courage…Ecrire part d’autre chose. De l’impression que ce qui se dit autour de soi ne devrait pas être dit comme cela. Tout le monde ressent probablement la même chose ; Mais pour la plupart, ça ne les fait pas souffrir. Pas souffrir au point, en tout cas, de passer leur vie à corriger cette parole fausse à force d’être approximative. Ecrire c’est se sentir obligé d’opérer une rectification. »
A travers ce quinzième roman, Christine Angot se rapproche un peu plus de sa vérité et recouvre sa dignité.
par Hélène