Un premier roman vibrant

couv rivireAyana Mathis a grandi dans les quartiers nord de Philadelphie, a suivi plusieurs cursus  universitaires sans aller au bout d’aucun, a vécu un temps en Europe, a travaillé à divers petits boulots. Les douze tribus d’Hattie publié en France chez Stock et déjà traduit en seize langues, est  son premier roman.

En juin 1925, à l’âge de 17 ans, Hattie Shepherd, marié à August un an auparavant, donne naissance à des jumeaux. Dix autres grossesses suivront. A travers le destin de chacun de ces douze enfants et sur plus de cinquante années se dessine  le portrait d’une femme et d’une société.  Servi par un style sans fioritures qui évoque Toni Morrison, ce roman séduit par l’originalité de sa construction et la force de son écriture. Il donne à voir les difficultés qui s’opposent  encore aujourd’hui à ce que toutes les composantes de la nation américaine jouissent des  mêmes droits, des mêmes rêves d’avenir. Un roman dont on n’a pas fini de parler ….

Par Hélène

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Kinderzimmer de Valentine Goby

Hélène et Marie-France nous donnent leur avis sur le dernier livre de Valentine Goby

kinderzimmer-valentine-goby-liseuses-de-bordeauxHELENE
Comment accueillir la vie dans un camp de la mort ?
La question est au centre du nouveau roman de Valentine Goby Kinderzimmer – qu’on pourrait traduire de l’allemand par  la chambre des enfants – à travers l’histoire de Mila qui découvre sa grossesse à son arrivée au camp de Ravensbrück.
Il y eut donc des naissances au camp de Ravensbrück et c’est à un magnifique travail de reconstruction que se livre l’auteure, écrivant son récit au présent, au plus près de la réalité du camp, au rythme des derniers mois de la grossesse de Mila.
Quand les femmes usent leurs dernières forces à résister aux poux, au choléra, aux coups, au travail forcé, aux intempéries, à la faim, comment imaginer qu’un nourrisson survive ?
C’est pourtant à ce défi qu’une poignée de femmes vont s’atteler donnant le récit de la vie qui gagne.
Valentine Goby parvient à dire l’indicible avec retenue, avec – chevillée aux mots – la conviction que la tendresse humaine peut être plus forte que l’horreur.

MARIE-FRANCE
Force des mots, force du rythme, sobriété narrative. Dans le roman de Valentine Goby, le lecteur se retrouve au cœur de l’horreur du camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. Les nazis voulaient éradiquer chez leurs prisonniers toute trace d’humanité, les réduire à l’état de bêtes puantes et rampantes, totalement livrés à l’arbitraire de la violence.

Cela rend d’autant plus incongrue l’existence de cette Kinderzimmer – chambre d’enfants – créée à la fin de la guerre, où étaient entreposés des nourrissons à tête de vieillards dont l’espérance de vie ne pouvait guère dépasser plus de deux ou trois mois… Mais cette chambre monstrueuse représente aussi une minuscule pépite d’amour et de douceur qui luit faiblement dans la crasse et les immondices, lueur en constant vacillement, à la limite de l’extinction.

La solidarité qui s’instaure entre des détenues pour préserver cette lueur coûte que coûte montre, comme le remarque Mila, l’héroïne, que les Allemands n’ont  pas gagné en dépit des millions de morts dans des circonstances atroces. « Serrer Sacha-James , dire des mots d’amour …, voir l’éclat du soleil dans les congères. (…) Les Allemands n’auront pas gagné. »

Ces enfants suppliciés donnent une douloureuse raison de vivre à des captives qui, malgré la bestialité ambiante, sont encore et toujours des mères. En face d’elles, que penser du comportement de certaines gardiennes nazies, capables d’attendrissement devant les nouveau-nés et dans la minute qui suit du plus cruel des cynismes. Là, on ne comprend plus ce qui est à l’œuvre.

Comment Valentine Goby, née en 1974, a-t-elle pu trouver tant de justesse dans la description d’un univers qu’elle n’a pas connu personnellement ? C’est tout à l’honneur de sa sensibilité et de son talent littéraire.

MARIE-FRANCE, APRES UNE RENCONTRE AVEC VALENTINE GOBY, ESCALE DU LIVRE, AVRIL 2014

A la lecture de Kinderzimmer de Valentine Goby, je me suis souvent demandée comment cette jeune romancière, appartenant à une génération, la deuxième, qui n’a pas connu la guerre et le nazisme, avait eu l’idée de s’attaquer à  un thème si particulier, l’existence d’une pouponnière à Ravensbrück, presque une anomalie, en tout cas quelque chose de très délicat à appréhender dans une fiction et qu’elle avait pourtant traité avec une justesse et une maîtrise bouleversantes.

Aussi est-ce avec beaucoup d’attention et de curiosité que j’ai écouté Valentine Goby s’exprimer, lors d’une rencontre avec le public dans le cadre de l’Escale du Livre, sur la genèse de son roman.

Ce projet littéraire a été nourri pendant deux ans et demi par des rencontres, des recherches, mais aussi par des questionnements personnels et des doutes qui une fois dépassés ont abouti à la rédaction du roman, en neuf mois.

De manière très pédagogique, l’auteur nous a exposé les circonstances qui l’ont amenée à s’intéresser à ce thème, ignoré de la plupart des lecteurs, celui de l’existence d ‘une nursery au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. Elle a ensuite expliqué pourquoi il a été important pour elle de s’emparer de ce sujet. Pour finir, elle nous a livré ses réflexions sur la légitimité, mais aussi la manière d’ancrer un tel sujet dans une fiction littéraire.

C’est par une personne née à Ravensbrück que la romancière a rencontrée de manière fortuite, qu’elle a appris l’existence d’une pouponnière au camp. Intriguée, elle a commencé à se documenter mais ses recherches furent rendues difficiles par le manque d’archives, la plupart ayant été brûlées avant l’arrivée des Alliés. Seule Germaine Tillon, elle-même détenue à Ravensbrück, a porté sur les conditions de détention un regard d’ethnologue et a fourni dans son œuvre des informations très précises sur le camp. Valentine Goby est alors revenue vers la personne née à Ravensbrück, elle a fait la connaissance de deux autres ex-bébés nés en détention ainsi que d’une femme ayant accouché dans le camp. Et surtout, elle a rencontré Marie-José Chombart de Lauwe, une résistante et puéricultrice, déportée à Ravensbrück et affectée à la chambre des nourrissons.

Valentine Goby dit avoir éprouvé impérieusement le désir de raconter cette histoire quasiment ignorée de tous. Il fallait en garder la mémoire, maintenant que les témoins de cette époque ont presque tous disparu. Elle l’a ressenti comme une nécessité personnelle, comme un héritage qui dépasse son existence propre et qu’elle se devait de transmettre car cette histoire parle d’esprit de résistance, de l’héroïsme des gens ordinaires.

Mais les témoignages recueillis ne font pas un roman.

Beaucoup de rescapés, dit-elle, pensent que la fiction peut jeter des ponts, créer un lieu, une langue où tout le monde se retrouve. Mais la plupart des romans sur les camps de concentration ont été écrits par des gens qui les avaient connus. Ceci influe sur leur manière de raconter l’histoire qu’ils savent achevée avant même de la commencer.  Valentine Goby tient à parler de cette époque depuis ici et maintenant. Il n’est pas question pour elle d’ajouter sa voix à ceux des témoins, à celle d’un Robert Anthelme ou d’un Primo Levi. Elle questionne le témoignage lui-même, se demandant comment on peut combler le fossé qui sépare ceux qui ont vécu les camps et ceux qui ne les ont pas vécus. Elle a cherché une autre approche de la fiction sur les camps qui puisse la définir comme quelqu’un qui n’a pas traversé cette histoire et qui s’adresse à des gens qui en ignorent tout.

Et elle a eu l’idée du Prologue qui expose cette problématique sur laquelle elle butait. Une phrase du Prologue exprime bien le lieu où témoin et interlocuteur peuvent se retrouver et mieux se comprendre : « L’ignorance, ce serait l’endroit où se tenir ensemble , la fille et elle; le lieu commun à soixante ans de distance. » Elle, c’est Simone Langlois, une ancienne détenue de Ravensbrück qui témoigne régulièrement de son histoire devant des lycéens. La fille, c’est une lycéenne que la logique narrative de l’ancienne détenue rend perplexe : comment Simone Langlois savait-elle que le convoi allait à Ravensbrück ?

Pour Valentine Goby il était clair, à ce stade de son questionnement, qu’il fallait prendre le témoignage et en faire une expérience vécue par quelqu’un qui ignore ce que sera demain. Donc revenir au présent sans projection possible, revenir au pas à pas de l’existence de Mila, existence avant tout marquée par son questionnement face à la grossesse et à l’accouchement d’abord et par la découverte de la maternité ensuite. C’est ce qui guide la narration, la vie du camp n’étant surtout appréhendée que par rapport à cette problématique.

C’est en cela que Mila, avant même d’être ressentie comme une victime et puis comme une héroïne, apparaît comme une femme avec laquelle nous avons maintes choses en commun et qui pourtant a vécu un épisode que nous avons peine à imaginer.

Il y a une chose que la barbarie ne peut pas complètement détruire : quelque chose qui s’approche de l’ordinaire reste possible dans l’horreur. Et c’est cette approche toute personnelle qui rend le roman de Valentine Goby si poignant.

 

Au revoir là-haut : on aime, on n’aime pas

Les Liseuses donnent leur avis sur ce livre nominé au Prix des Lecteurs-Escale du Livre.
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ON AIME

Avant même l’obtention du prix Goncourt, plusieurs critiques m’avaient donné envie de lire ce livre. Et je n’ai pas été déçue. Tout y est : une écriture fine, une analyse profonde des personnages, une histoire passionnante et une trame digne d’un roman policier ( dont l’auteur est issu).

Deux soldats vont se rencontrer sur le champ de bataille à la veille de l’armistice de 1918. Blessés, ils vont se retrouver dépendants l’un de l’autre. Trop abîmés pour un retour à une vie normale et déçus par un Etat qui s’occupe plus des morts que des vivants, ils vont monter une escroquerie d’une ampleur nationale et totalement amorale.
Ce roman est le contraire de ce que j’avais déjà pu lire sur la première guerre mondiale. Il ne glorifie pas ses soldats, n’en fait pas des héros. Les gradés et les traîtres réussissent. Les soldats blessés, tant moralement que physiquement, végètent dans un après-guerre qui n’a pas besoin d’eux et qui surtout n’en veut pas.

Pierre Lemaitre m’a tenue en haleine durant tout son roman. J’ai lu quelque part qu’il écrivait également des scénarios. C’est sans doute pour cela que ce roman est aussi réaliste et rythmé.
Pour moi, un bon Goncourt.

Par Edith

ON N’AIME PAS

Je n’ai pas aimé « Au revoir là-haut »… sans doute parce que j’ai adoré « 14 » d’Echenoz.
Autant j’ai été impressionnée et émue par la concision d’orfèvre du texte d’Echenoz qui en une centaine de pages convoque toute l’horreur et le gâchis de 14/18, autant le style de Pierre Lemaitre m’a irritée.
Pierre Lemaitre ne montre pas, il démontre. Il raconte, il explique, ne laissant au lecteur aucun espace pour se projeter dans les situations vécues par ses personnages.
J’ai lu les 566 pages de son livre sans parvenir à me représenter ni Albert, ni Edouard, ni les décors, ni les atmosphères.
On parle à propos d’ « Au revoir là-haut » de roman naturaliste, d’ambition picaresque. L’écriture est effectivement datée. Il y a du Maurice Leblanc chez Pierre Lemaitre.
On trouve de bonnes idées comme l’arnaque aux monuments aux morts mais l’intrigue est cousue de fil blanc, les rebondissements tirés par les cheveux (ce qui pour un auteur de polars est embêtant).
Les méchants sont très méchants, les gentils très gentils. Tout ceci fait peut-être un roman mais un Goncourt ?
Au final, ce que je préfère, c’est l’exergue emprunté à Jean Blanchard fusillé pour traîtrise le 4 décembre 1914 et réhabilité le 29 janvier 1921 : « Je te donne rendez-vous au ciel où j’espère que Dieu nous réunira. Au revoir là-haut, ma chère épouse… ».

Par Hélène

L’humour nous sauvera

toutLe prix de Flore (distinction littéraire créée par Frédéric Beigbeder en 1994) a été décerné hier à Monica Sabolo, rédactrice en chef des pages culture du magazine Grazia, pour son livre Tout cela n’a rien à voir avec moi publié chez JC Lattès. Ce prix est récompensé par un chèque de 6 100 euros et 365 verres de Pouilly servis dans un verre gravé au nom de l’auteur à consommer au café de Flore.
Il se trouve qu’une amie m’a prêté ce livre la semaine dernière en me disant d’un air gourmand « Tu vas voir, c’est génial ». J’ai ouvert le livre et ….. l’ai refermé une heure plus tard (il est assez court, écrit gros et rempli de photos). Un ovni littéraire donc mais tendre, drôle, émouvant, surprenant, très, très habile et habité. On sent qu’il y a du vécu là-dedans.
L’histoire banale d’une femme qui tombe éperdument amoureuse d’un homme qui ne tombera jamais amoureux d’elle. Erreur d’évaluation fatale pour elle, aventure finalement encombrante pour lui. Je ne vous en dis pas plus, juste un conseil : lisez-le de toute urgence avant que les médias livrent les délicieuses surprises qu’il renferme.
Le genre de livre qu’on offre à ses amies et qui nous fait verser une petite larme sur nos amours mortes…..

Par Hélène