@photos Seb Perchec / Lire en Poche 2024
Les organisateurs de Lire en poche nous ont fait un très beau cadeau : accompagnée de quatre instagrameuses, j’ai pu discuter avec 5 des auteurs nominés pour le prix de littérature française : Avril Bénard (A ceux qui ont tout perdu, J’ai lu), Fanta Dramé (Ajar-Paris, Harper Collins), Guillaume Lebrun (Fantaisies guerrillères, Christian Bourgois), Hadrien Bels (Tibi la blanche, Proche), Feurat Alani (Je me souviens de Faloujah, Le livre de poche). Pour plusieurs d’entre eux, ils présentaient leur premier roman.
Une rencontre intimiste et détendue où chacun nous a livré des éléments sur son processus d’écriture. Comment ils en sont arrivés à écrire leur roman mais également leurs doutes. Ce moment était bien trop riche pour le garder pour moi, j’avais envie de le partager avec vous et d’en garder une empreinte écrite.
Quel a été le point de départ de l’écriture pour eux ?
Hadrien Bels a toujours aimé écrire. Pour lui, c’est un refuge, un moment privilégié.
Les moments les plus heureux c’est lorsqu’on écrit pour retrouver les personnages de notre roman, quand on tient une histoire, que l’on rentre dedans. C’est passionnant de se plonger dans un décor que l’on crée et en même temps les personnages échappent au déterminisme. Après le premier roman on a le sentiment d’être au pied d’une montagne et l’on ne sait pas si l’on va arriver à la gravir.
Le déclic fut son éditrice qui l’a poussé à y croire.
Feurat Alani acquiesce, il considère que ce sont les rencontres qui autorisent à écrire
C’est mon agent littéraire et éditrice qui m’a demandé si ça m’intéresserait d’écrire un roman. J’avais besoin qu’on m’autorise à écrire. Comme je suis reporter j’ai abordé l’écriture par le journalisme. J’avais envie d’aller vers le roman mais je ne m’en sentais pas capable. Lorsque j’entendais des auteurs dire qu’ils vivaient avec leurs personnages, je trouvais ça bizarre et pourtant c’est vrai, je l’ai vécu aussi. On entre dans une sorte de méditation lorsqu’on écrit, on est absorbé, en voyage dans un pays où l’on est libre. Dans le journalisme il n’y a pas cette liberté. Dans le roman on peut faire ce que l’on veut.
Feurat Alani a un plaisir immense à écrire mais c’est long et laborieux. C’est comme un accouchement.
Avril Bénard a toujours écrit et rêvé d’écrire. Elle était une enfant solitaire et sensible, du coup l’écriture était une échappée. Elle a commencé en faisant une chronique sur Internet où elle disséquait des petits détails, des gestes.
Cette histoire de rencontre est vraiment fondamentale. On a besoin d’être accueilli et de se sentir légitime. J’ai écrit à Christian Bobin pour lui faire lire mes textes car je savais qu’il répondait, qu’il était très franc, nous avons échangé ensemble et il m’a dit que ce que j’écrivais valait vraiment quelque chose. On a besoin que quelqu’un nous prenne par la main, et nous dise que cela a du sens d’ajouter cette pierre là à tous les livres qui existent déjà.
Pour Guillaume Lebrun la réponse à cette question est :
Oui, non. Sans doute ! Pour moi la base de l’écriture c’est le trauma. L’écriture est un moyen de s’extirper du monde.
Quant à la validation par autrui, il considère qu’elle est importante, mais que c’est dû au hasard. Il ne pensait pas publier « fantaisies guerrillères ». C’est par une amie qui travaillait chez un éditeur qu’il a eu la surprise d’apprendre que son texte était apprécié. Ce livre était resté pendant des années dans sa tête et tout à coup c’est devenu concret.
Il y a en effet un sentiment de vertige après avoir écrit un roman avec le sentiment qu’il faut toujours repartir à zéro. Comme si on n’avait jamais écrit avant. Je crois que ce sera toujours comme ça. Je crois qu’on a besoin de cette difficulté pour y arriver. Quand on arrive à dénouer quelque chose alors qu’on y travaille depuis des mois, c’est très excitant et jubilatoire.
Pour Fanta Dramé, qui était une enfant turbulente, c’est suite à une punition où la CPE lui avait demandé d’écrire un texte sur ce qu’elle venait de faire, qu’elle a pris conscience de son plaisir à écrire.
La CPE m’a dit que j’écrivais bien. Ce sont des phrases banales comme ça que l’on garde à l’esprit qui nous aident à avancer. Ensuite j’ai fait une fac de lettres et je suis devenue enseignante. Je pense que beaucoup de ceux qui suivent ce cursus se rêvent écrivains. Pour écrire, il faut un sujet. C’est mon voyage en Mauritanie en 2013 lors du décès de ma grand-mère paternelle qui a été le point de départ de mon roman Ajar-Paris . Si je n’avais pas fait ce voyage, je n’aurais jamais demandé à mon père de me raconter son histoire. Au départ je voulais laisser une trace écrite de ce qu’il avait vécu et pouvoir la transmettre à la famille et aux générations à venir. Moi non plus je ne pensais pas être publiée. Lorsque j’ai fini mon roman, je l’ai envoyé à Faiza Gaine pour qu’elle me dise si elle le trouvait abouti. Comme ça lui a plu, elle l’a donné à lire à son éditeur et c’est comme ça que j’ai été publiée. Pour mes élèves les écrivains sont des hommes vieux ou morts !Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit par les autres. En ce moment, j’ai dans ma tête un roman génial qui est construit, tout est ok, mais c’est compliqué de l’accoucher.
Comment avez-vous construit votre roman ?
Fanta Dramé a posé des questions à son père et ensuite elle a romancé parce qu’il y avait beaucoup de choses qu’il ne disait pas. Elle a dû imaginer certains passages. Ajar-Paris est une construction chronologique. Il n’y avait pas de plan à l’avance.
Feurat Alani rappelle qu’en général il y a deux façons d’écrire : comme un architecte ou un jardinier. Les journalistes, comme lui sont plutôt des architectes. Ils planifient tout. Il s’est rendu compte que ce n’était pas aussi évident pour l’écriture d’un roman.
J’ai passé des mois à construire un plan sans écrire une ligne, mais ça ne marchait pas.
Être jardinier, c’est faire vivre des personnages ou une scène, et on la laisse vivre. Là non plus je n’y arrivais pas. Du coup, la seule chose que je m’impose c’est : un début et une idée de fin. Toute l’ossature reste à construire. Il faut parfois accepter que les choses se dénouent alors qu’on ne s’y attend pas. C’est un long process d’écriture.
Avril Bénard pense également qu’il faut laisser mûrir les choses. Il y a une sorte d’idée première, mais les choses se décantent parfois toute seules comme un organe qui est dans son coin et qui fait son travail.
Je prends des notes, je collecte des détails, des sensations, des gestes sans savoir comment je vais m’en servir après. C’est comme mûrir un fruit. Certains personnages sont arrivés alors je ne les avais pas prévus. Ils se sont imposés à moi. C’est difficile de théoriser alors que c’est mon premier roman. On balbutie beaucoup. Je travaille en musique. C’est très porteur pour moi. Lorsque je remets une musique il y a quelque chose de l’ordre de la transe. Cette idée de début et de fin dont a parlé Feurat, c’est essentiel pour moi.
Guillaume Lebrun est d’accord avec cette idée que les personnages vivent leur vie.
Parfois on relit ce qu’on a écrit et on se demande comment on est passé de là à là. Quand on le vit la première fois c’est assez déroutant. Parfois on prévoit en effet le début et la fin mais ce qui se passe au milieu peut changer radicalement.
Avril Bénard pense qu’il y a une force dans ce qui est créée, qu’on ne peut pas emmener un personnage n’importe où, lui faire faire n’importe quoi. Il y a une cohérence, comme une destinée.
Hadrien Bels, revient sur l ‘écriture de Cinq dans tes yeux, son premier roman :
Ce sont des scènes que j’écris et après je fais un montage avec un aller-retour entre le présent et le passé. Après j’ai eu l’expérience de l’adaptation cinématographique. C’est un autre mode d’écriture. C’est beaucoup plus structuré. C’est une expérience marquante et du coup lorsque je suis passé au second roman, j’ai plus réfléchi à l’enchaînement des scènes, quelque part j’ai fait ainsi un plan sans le vouloir. On devient un jardinier architecte !
Comment le métier que vous pratiquez a influencé votre écriture ?
Pour Avril Bénard :
Notre métier c’est ce qu’on est. Pour moi il y a un énorme lien entre mon métier d’antiquaire et mon écriture. L’antiquaire chine des morceaux d’histoire. Quand tu vends, il y a l’idée que tu racontes une histoire aux gens qui achètent. Dans mon roman le questionnement sur l’objet est très présent justement. En plus ma boutique d’antiquaire était par le passé une librairie. Ce qui nous nourrit, nourrit aussi notre écriture.
Fanta Dramé trouve que son métier de prof de français, au contraire, la dessert. Elle a l’impression d’être trop scolaire.
Parfois il faudrait faire fi des règles, se lâcher, j’ai parfois l’impression d’être trop rigide sur la langue.
Hadrien Bels ajoute que l’éditeur peut être moteur justement pour changer les choses.
À quel moment savez-vous que votre roman est terminé, qu’on peut mettre le mot fin ?
Guillaume Lebrun :
Jamais. Heureusement qu’on me donne une date butoir sinon je ne terminerais jamais. D’ailleurs je ne le relis jamais de a à z sinon je deviendrais cinglé. Comme je n’envisageais pas d’être publié, l’écriture a duré cinq ans. Sans y travailler continuellement, faisant autre chose par ailleurs, ajoutant ou retirant un peu de haine et de rage. L’éditrice a aimé mais elle m’a demandé de structurer mon délire !
Avril Bénard est hyper sensible à elle-même, elle pleure très facilement.
Je sais que j’ai terminé quand je pleure. Je ne peux plus travailler après. Avec un sentiment de délivrance comme un accouchement.
Que pensez-vous avoir transmis dans votre livre ?
Fanta Dramé indique que chaque lecteur se l’approprie.
Feurat Alani étant journaliste, il avait une volonté, à travers son roman, de parler de la grande histoire. Que les dates et les événements concernant l’Irak soient marqués pour essayer de faire comprendre une situation complexe.
C’est quand les personnes me disent : Je ne m’intéressais pas à l’Irak mais grâce aux petites histoires universelles (qui concernent la famille, la transmission, l’identité) j’ai commencé à m’intéresser à l’Irak. Quand les gens me disent ça c’est le meilleur retour possible. Sans faire de clichés et comme le dit Fanta il faut accepter un moment que le livre ne nous appartient plus.
Guillaume Lebrun :
Ce qui m’a plu quand je lis les critiques sur Babelio c’est quand les gens se réapproprient la langue ancienne que j’utilise dans le roman pour faire leur critique.
Avril Bénard :
Pour moi c’est quand les gens se sont interrogés viscéralement sur ce point de départ*
(*Dans A ceux qui ont tout perdu, imaginez : c’est la guerre, vous devez quitter votre logement en ne prenant qu’un seul bagage)

Babeth, novembre 2024